Alors que l’acteur fête ses 80 ans, il faut oublier ses dernières déclarations en soutien à Nadine Morano et retrouver l’acteur de Losey, Melville ou Visconti.
Vous n’en faites pas d’autres, hein ? Vous ne pouvez pas vous en empêcher, c’est ça ? Du coup, j’en connais qui vous verraient mieux sous la rubrique “Billet dur”… Alors comme ça, “elle a des couilles”, Nadine Morano ? Toujours ce sens inné du compliment fait à une dame, cher Alain. C’est bien simple, à chaque fois qu’un plumitif vous appelle, vous sortez une ou plusieurs énormités, genre conneries fachos.
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Vous êtes seul, vous aimez ça, fort bien, mais vous devriez vraiment ne parler à personne, et surtout pas aux journalistes. Parlez à vos chiens, plutôt, moins nocifs pour votre réputation, et surtout abstenez-vous de commenter les horreurs qu’on entend et voit à la télé, qu’elles s’appellent Morano ou Hanouna. Cessez de vous prendre pour Garrigos et Roberts, nom de Dieu ! La solitude + la télé + le journaliste qui appelle pour parler de tout et de rien = mauvaise mayonnaise, je vous assure.
La transmission d’une inoubliable douleur
Remarquez, moi, je m’en fous, je vous aime. Amour toujours, conneries fachos ou pas. Parce que moi, comme Jean-Luc Godard, que vous imitez très bien paraît-il, j’ai vu vos films et comme lui, je sais que vous en avez fait quatre ou cinq importants. C’est énorme, c’est très rare un acteur qui fait quatre ou cinq films vraiment importants dans une carrière. Vous n’êtes pas nombreux sur la liste. Il a raison, Godard, et il n’est pas connu pour avoir le compliment facile.
Voyons un peu, deux des trois Melville, les deux Visconti, évidemment, un des deux Losey, mettons Plein soleil en plus, sans oublier le Zurlini, sublime, un film que presque personne ne connaît, Le Professeur en français, La Prima Notte di quiete en italien, c’est-à-dire la mort, d’après un vers de Goethe. Celui-là, vous êtes allé le faire malgré Melville qui voulait enchaîner Le Cercle rouge avec Un flic. Vous y jouez une épave qui tourne dans la nuit de Rimini et vous incarnez et transmettez une inoubliable douleur.
Après ça, soutenez qui vous voulez, Giscard, Barre, Morano, Le Pen, sa fille, sa petite-fille, on s’en fout, aucune importance. De toute façon, comme votre copine Morano, vous ne valez pas grand-chose comme anthropologue. Comme comédien, en revanche…
Le regard blessé de Tancrède
A force de répéter que vous vous contentez d’être à l’écran, que vous ne jouez pas, la différence entre l’acteur de rencontre et le comédien de métier, les gens ont fini par croire à vos fadaises. Et avec Visconti, le plus grand directeur d’acteurs qui soit, à trois heures du matin, dans ce palais à Palerme, à la cinquantième prise, pendant le tournage nocturne du bal du Guépard, vous ne jouiez pas, sans doute ?
Mon Dieu, cher Alain, ce regard blessé de Tancrède, un peu veule, trop conscient de son infériorité, en jouissant presque, que vous portez sur votre oncle et votre fiancée, si souverainement assortis. Comme elle aurait aimé se donner à lui plutôt qu’à vous… Et vous jouez ça comme personne d’autre n’aurait pu le faire, d’un regard d’une infinie tristesse, dans le plus grand film du monde.
Si brillant comédien, jouant tout le temps, évidemment, vingt-quatre fois par seconde, intelligent et travailleur, mais aussi homme courageux, qui tourne et produit L’Insoumis d’Alain Cavalier alors que la guerre d’Algérie s’achève à peine. Les Smiths en feront la pochette de The Queen Is Dead. Et puis sans vous, star et producteur tout-puissant, pas de Mr Klein de Losey, encore un “rouge”. Encore une interprétation stupéfiante, un regard hanté. Lundi dernier, j’ai regardé sur France 3 le beau documentaire que vous a consacré Philippe Kohly, à l’occasion de vos 80 ans. Et là, ça valait le coup de regarder la télévision. Bon anniversaire, M. Delon.
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