« Les gens pensent souvent que je ne suis que joie et pétillance, alors que je suis pleine de mélancolie et de noirceur. » »Les gens pensent souvent que je ne suis que joie et pétillance, alors que je suis pleine de mélancolie et de noirceur. »
Passer une matinée avec Charlotte Le Bon vaut mieux que beaucoup d’autres choses. Elle est drôle même avant son premier café, même sous la pluie et même quand elle parle de la mélancolie l’ayant menée à sa nouvelle exposition. Celle-ci s’appelle d’ailleurs Pickle Melancholia. Elle se tiendra du 16 au 20 septembre à Lyon, pour la Docks Art Fair, puis du 28 septembre au 14 octobre à Paris, entre les murs de la Galerie ITEM.
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C’est là qu’on la retrouve, ou plutôt dans l’atelier jouxtant la galerie (un truc sous verrière assez dingue, créé en 1880 par l’imprimeur Emile Dufrenoy pour y installer des presses lithographiques). « C’est JR qui m’a fait découvrir cet endroit, dit-elle en ouvrant la porte. C’est intimidant au début, surtout quand tu sais que Picasso, McCarthy ou encore Lynch y sont passés avant moi ! Ça donne un petit coup au cul. » Elle nous fait visiter en racontant quelques anecdotes. L’équipe du lieu s’affaire déjà autour de ses grosses machines, lesquelles donnent à l’espace le sentiment d’être un peu à côté du temps et de son déroulement.
Un dessin de Charlotte Le Bon flotte dans un coin. Il date de sa première expo, One Bedroom Hotel On The Moon, présentée l’année dernière à la Galerie Cinéma. La nouvelle, elle l’a bricolée en trois mois à Los Angeles après une période intense au cinéma (dans Iris de Jalil Lespert, Le Secret des banquises de Marie Madinier, Bastille Day de James Watkins…) et une autre, juste derrière, de vide volontaire. « J’étais dans un no man’s land créatif, raconte-t-elle. Je ne savais plus trop ce que je voulais faire. » Et puis le téléphone a sonné.
Elle s’est remise au travail et, bientôt, ce qui allait devenir Pickle Melancholia a commencé à prendre forme. Des cornichons par-ci, Trump et le cosmos par-là… « Mal dessiner n’existe pas », dit cette fan de David Shrigley qu’on retrouvera également le 27 septembre pour un Fubiz Talk, où elle devra disserter sur son processus créatif. Mais théoriser la terrifie. Elle préfère la création, justement.
Charlotte Le Bon a des projets à venir au cinéma (autant en France qu’aux Etats-Unis) et une expo est prévue au Japon pour le printemps. Sans compter ses envies de réalisation… Mais chaque chose en son temps.
Comment est née cette nouvelle expo ?
Charlotte Le Bon – J’étais à Los Angeles, je sortais d’un tunnel de six tournages de films, j’étais épuisée ! Je n’arrivais même pas à dessiner. Je savais juste que je voulais provoquer le vide concernant le cinéma, être plus sélective et ne pas juste tourner pour tourner. J’étais dans une inertie un peu étrange, assez symptomatique de Los Angeles, je trouve. Il y a une espèce de mélancolie dans cette ville, mais mêlée à d’immenses possibilités si tu travailles bien et avec les bonnes personnes.
Et puis Patricia Houg m’a appelée. C’est une commissaire d’expo lyonnaise. Elle m’a proposé de participer à la Docks Art Fair dans le cadre de la Biennale d’art contemporain. A la base, elle m’a demandé quelques dessins de mon ancienne expo. Mais l’idée de me replonger dans le passé m’a complètement étouffée. Je lui ai donc proposé quarante nouvelles pièces, sans aucune idée de ce que j’allais faire !… Les idées sont finalement venues et j’en ai fait quarante-deux.
Quels thèmes as-tu voulu explorer ?
Souvent, les idées viennent, et c’est après qu’on essaye de leur trouver une mytho-cohérence. J’ai l’impression que beaucoup d’artistes font ça : d’abord on répond au schizophrène qui vit dans notre tête, comme disait Cocteau, et puis après, parfois, on trouve une espèce de signification. J’aborde énormément de choses dans cette expo. L’isolation, la sexualité, la colère face au monde…
Est-ce le bilan de cette période à Los Angeles ?
Je m’arrêtais parfois de travailler et je me disais : « Je ne vais pas très bien, en fait ! » Les gens trouverons peut-être mes dessins ludiques, mais j’ai l’impression que cette expo est beaucoup plus sombre qu’elle en a l’air. Les gens pensent souvent que je ne suis que joie et pétillance (sic), alors que je suis pleine de mélancolie et de noirceur. Cette expo est une sorte de vomi de ce à quoi je ressemblais à ce moment-là.
Comment on capte l’expression de cette noirceur derrière les couleurs et l’humour ? Et toi, comment tu la gères ?
Je crois qu’il y a un truc très égoïste de juste vouloir la mettre sur papier, et de ne pas en avoir peur. Il y a des choses que je n’aurais pas osé m’avouer il y a encore un an, tant ces choses sont pessimistes sur l’humanité. J’ai tendance à m’interdire de penser comme ça – peut-être à cause des étiquettes de fille joyeuse et optimiste qu’on m’a collées sur le front. J’ai eu besoin de mettre mes couilles sur la table.
L’année dernière, dans une vidéo de Clique, tu parlais de ta fascination pour les hôpitaux psychiatriques. Tu dis d’ailleurs ne pas savoir d’où vient cette fascination. Et si c’était une façon d’interroger ta propre folie ?
J’ai l’impression qu’on est tous à un cheveu d’être fous. Et que ce n’est pas très compliqué de tomber de l’autre côté. En ce qui concerne les hôpitaux psychiatriques, ils m’évoquent quelque chose d’étrangement familier, de réconfortant. J’ai l’impression d’y avoir déjà été – peut-être dans une autre vie ! Vol au-dessus d’un nid de coucou et Une vie volée, je les ai vus des quinzaines de fois. C’est obsédant.
Les artistes doivent-ils aller au plus près de la folie ?
Beaucoup d’idées résident dans cette espèce d’espace – je ne sais pas si « folie » est le bon terme. Quand j’ai préparé cette expo, j’étais un brin autiste. Et ça me plaisait. Certains artistes sont capables de vivre comme ça toute leur vie. Beaucoup de grands artistes étaient des êtres anormaux, avec des façons étranges de communiquer. Ils recréaient une normalité à eux. Je reviens à Cocteau : il disait donc qu’on avait tous un schizophrène dans la tête, mais que les adultes décident généralement de le faire taire ; les artistes, selon lui, sont ceux qui continuent de l’écouter. Cette définition m’a apaisée. Je ne ressens plus le besoin de tout expliquer. Et en plus c’est chic de citer Cocteau !
On continue souvent de te présenter comme une « ex-miss météo du Grand Journal ». Or tu n’y es restée qu’une saison, et c’était il y a 7 ans. Comment tu l’expliques ?
Ça a été la période la plus dépressive que j’ai traversée ! C’était tellement difficile… Ce n’est pas pour rien que je n’ai fait qu’une seule année. Je devenais le cliché du clown triste le jour et joyeux la nuit, l’espace de quelques minutes. J’étais dans un état de constante remise en question. Il n’y a rien de pire que d’être jugée tous les soirs, en permanence. Surtout quand on te demande de faire rire… Certains jours, je n’en avais vraiment rien à battre. Je suis fascinée par les gens qui font de la télé tous les jours depuis des années.
Mais effectivement, quand on m’arrête dans la rue, c’est encore pour me demander quel temps il va faire demain. Et sur ma fiche Wikipedia, je suis encore « animatrice de télévision ». C’est un peu frustrant quand tu as fait quinze films depuis ! En même temps, ça a évidemment été un tremplin dingue. Et un terrain de jeu assez fou pour tester mes limites. J’y allais parfois en sachant que j’allais me planter, que mon sketch n’était pas bien. Je suis la preuve vivante que le ridicule ne tue pas !
La télé ne te manque jamais ?
Ce qui me manque parfois, c’est cet espace de liberté que j’ai connu. L’exercice du public, aussi. L’adrénaline que ça provoque. Le côté « tu n’as qu’une seule chance ». A la télé, si tu te pètes la gueule, bah tu te pètes la gueule ! Et à l’époque c’était devant deux millions de personnes… Mais je me souviens aussi des états dans lesquels je rentrais chez moi le soir, du coup ça ne me manque pas tant que ça.
Et le théâtre ?
J’aimerais bien. J’adorerais, même.
Tu te sens aboutie artistiquement aujourd’hui ?
Ah non ! Pff. Loin de là. J’ai vraiment l’impression d’en être au début. J’apprendrai jusqu’à ma mort – enfin j’espère. Les gens très confiants, je les trouve souvent inintéressants. Moi, j’avance avec le doute. Je ne me croyais pas capable de produire quarante pièces pour cette expo, pourtant je n’y serais pas arrivée sans ce doute. Si un jour j’ai l’impression de tout connaitre et de tout comprendre dans mon travail, j’arrête !
L’expo s’appelle Pickle Melancholia. Ce cornichon mélancolique, c’est toi ?
Ah, peut-être. Oui. Carrément. Je ne m’étais pas posé la question mais j’assume complètement cette position ! Tu sais que plus je creuse sur le cornichon, plus j’apprends des choses fascinantes. Avant la Prohibition, par exemple, le cornichon était vu comme un légume « dépravé ». Le cornichon est arrivé avec les immigrés européens, et notamment les juifs. Les autorités pensaient que toute nourriture trop épicées ou trop forte en goût amenait la dépravation de la société. Ils ont même commencé à éditer des livres de cuisine traduits en plusieurs langues pour que les immigrés sachent cuisiner des choses plus douces… Les cornichons étaient censés rendre les enfants fous. C’est quand même génial que ce petit concombre vinaigré ait pu représenter un danger pour la société ! Il est pourtant si mignon.
propos recueillis par Maxime de Abreu
Expo du 16 au 20 septembre à Lyon (Docks Art Fair) et du 28 septembre au 14 octobre à Paris (Galerie ITEM)
Fubiz Talks le 27 septembre à Paris (Salle Pleyel)
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