La ressortie de “Charisma” rappelle qu’il serait dommage de s’arrêter aux deux films les plus connus de Kiyoshi Kurosawa. Si “Cure” et “Kaïro” sont deux arbres qui cachent la forêt, ce film de 1998 complète subtilement une trilogie secrète, hantée par les démons d’hier et d’aujourd’hui.
Comment renouveler l’histoire du flic qui perd pied dans un monde toujours plus en perte de repères ? Avec Charisma, le réalisateur japonais Kiyoshi Kurosawa se propose de répondre à la question, quitte à perdre quelques spectateur·rices au passage.
Alors que le film démarre avec la mort d’un otage et d’un criminel, l’officier Goro Yabuike est immédiatement renvoyé hors de ses fonctions et de la ville. À la suite de cet incident, le policier se retire dans une forêt habitée par d’étranges personnes dont les obsessions portent sur un arbre nommé “charisma”.
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Un changement d’habitat donc, qui révèle un trouble, et peut-être même quelque chose non naturelle, notamment autour de cet arbre, seule matière végétale à s’être développée dans un périmètre de plusieurs mètres. Ce déménagement est accompagné d’un travail particulier sur l’image (quelques prises de vues subjectives, des reflets magnifiés par la restauration du film), mais aussi sur le son, à travers un design sonore curieusement vidé et dont le silence ne rend que plus habitées les quelques séquences musicales.
“Les écosystèmes, ça te branche ?”
En projetant dans cet arbre résolument tarkovskien tous les maux de la société japonaise, Kurosawa prend le risque de faire un film métaphorique et parfois hors sol… à l’image de l’officier Yabuike, comme traversé par toutes les étrangetés qu’il rencontre (tueurs à gages, biologistes, visions de pendus sous champignons hallucinogènes…). Peu à peu, l’homme se retrouve obsédé par l’arbre et s’y identifie sans doute : tous deux ne parviennent à vivre et à s’intégrer au sein de leurs écosystèmes respectifs, le premier étant forcé de prendre quelques jours de congé suite à la prise d’otage, le second en étant un parasite, absorbant la vie qui l’entoure pour sa propre survie.
À la différence de Cure (1997) mais surtout de Kaïro (2001), qui investissait à sa manière un imaginaire fantomatique à l’ère d’Internet, Charisma regarde dans le rétroviseur et affronte d’anciennes peurs toujours présentes, à travers le motif d’un champignon nucléaire ou d’une ville en proie aux flammes.
Énigmatique, sensoriel, le film se trouve particulièrement lorsqu’il approfondit la métaphore de l’arbre, assassin tranquille capable d’engendrer une nouvelle pousse. La nature gagne plutôt bien le cinéma de Kurosawa, qui donne une matérialité organique à ses craintes, sans pour autant amoindrir le caractère hanté de son cinéma. Ou comme l’écrivait Baudelaire : “La Nature est un temple où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles ; / L’homme y passe à travers des forêts de symboles / Qui l’observent avec des regards familiers.”
Charisma, par Kiyoshi Kurosawa, 1h44. En salle depuis le 5 avril.
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