A l’occasion de la ressortie, dans une version restaurée, de Masculin-Féminin, l’un des meilleurs films de Godard, rencontre avec une chanteuse populaire pour les enfants qui n’a pas fait que cela dans sa vie. Où elle nous raconte comment, au milieu des années 60, une jeune fille de bonne famille, fraîchement débarquée d’Angleterre, devient tout naturellement actrice chez le cinéaste le plus branché de l’époque. Récit émaillé de rires par la pétillante Chantal Goya en personne, dont la voix et l’esprit sont restés toujours aussi jeunes. L’enfant de Marx et du Coca-Cola se souvient de tout.
Comment vous êtes-vous retrouvée dans un film de Godard ?
Tout démarre avec Jean-Jacques Debout, que je connaissais un petit peu. J’arrivais de Londres, je voulais devenir journaliste et j’avais l’idée de monter une rubrique de magazine qui serait la correspondance entre tout ce que les jeunes vivaient à Londres et ce que les jeunes vivaient à Paris. Hyper moderne à Londres, le Swinging London, les mini-jupes, les Beatles, etc., une révolution totale, qui nous ravissaient. Et de l’autre côté, la France où je me rends compte en y revenant qu’il ne se passe rien.
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Que faisiez-vous à Londres ?
J’étais partie y préparer mon bac et apprendre l’anglais. Mon père m‘avait dit : “Si à Paris, ça ne se passe pas bien, tu iras en Angleterre dans une famille où tu apprendras l’anglais.” Il considérait que c’était important, déjà à l’époque. Et moi je me disais que ça me permettrait d’avoir un bon boulot vers 25 ans. Je trouvais aussi que c’était plus libre, moins conventionnel. Toujours est-il que Debout me présente Daniel Filipacchi, qui était le producteur de Sylvie Vartan, entre autres, et qui avait aussi repris les Cahiers du cinéma. Daniel me dit : “Moi, je veux lancer un journal, mais je vais te prendre comme mannequin, pas comme journaliste.” J’étais très déçue. Je faisais très gamine et il a cru que j’avais 16 ans alors que j’en avais 19 ! Je ne voulais pas entrer dans le show-bizz, chanter, je voulais être journaliste ! Ecrire (j’adore ça). Il ne faut pas oublier qu’à l’origine, Filipacchi était photographe. Il m’a tout de suite trouvée photogénique, il s’est dit que je pouvais aussi chanter. Qu’il aurait la blonde (Vartan) et la brune (moi). Je l’ai trouvé fou. Jean-Jacques composait beaucoup de succès pour Vartan (Tous mes copains) et Johnny (Pour moi, la vie va commencer), et Filipacchi lui a demandé de m’écrire une chanson et ça donne C’est bien Bernard le plus veinard de la bande. Moi je ne voulais pas ! J’ai une petite voix, je pensais : “Je ne pourrai jamais être chanteuse !”. Et puis j’ai quand même accepté parce que mon éducation m’empêchait de dire non. Le titre sort, Filipacchi le passe dans Salut les copains sur Europe 1, et on vend un million de disques… J’étais effarée. J’ai fait une télé pour la promo du disque, dans une émission d’Albert Reisner, le Jean-Pierre Foucault de l’époque. On est au milieu des années 60. Filipacchi m’appelle et me dit : “Viens vite me voir !” et je me dis : ça y est, je suis virée, tant mieux ! Je vais pouvoir devenir journaliste. Et puis pas du tout : “Il y a quelqu’un qui a écrit dans les Cahiers du cinéma dont on s’occupe, il veut te rencontrer, c’est Jean-Luc Godard. – Quoi, le Godard qui a fait A bout de souffle ? – Oui, oui, il veut que tu tournes dans son film. Tu as rendez-vous dans le café en face du théâtre des Champs-Elysées et tu verras avec lui si c’est oui ou non.” Je rentre chez moi et j’annonce ça à tout le monde, tous les copains, notamment le pauvre Roger Dumas, qui est mort il y a quelques jours, qui était parolier de Jean-Jacques et acteur de théâtre et de cinéma [il a tourné beaucoup de films avec Belmondo – ndr] et qui à l’époque vivait avec nous. Claude Berry, qui était le fiancé de Marlène Jobert, était là aussi. Et je le leur dis : “Je vais peut-être tourner avec Jean-Luc Godard.” Et ils me disent tous : “Quoi ?! – Ben oui, j’ai rendez-vous demain à quatre heures.”
Vous aviez déjà vu un film de Jean-Luc Godard ?
J’avais vu A bout de souffle. Mais je savais qui il était, l’homme de la Nouvelle Vague avec Truffaut et Chabrol, dont me parlaient tous mes copains acteurs. Donc le lendemain, je me pointe au café. Mais je ne savais pas vraiment à quoi il ressemblait, je savais seulement qu’il portait des lunettes. Je vois un monsieur qui me regarde pendant des heures et des heures, j’étais gênée, j’essayais de fuir son regard. Je trouvais ça louche, tout ça. Je me retournais. Et puis pof, il est arrivé devant moi et il m’a dit : “Bonjour, je suis Jean-Luc Godard. Ecoutez, je vous ai remarquée, vous êtes exactement la jeune fille que je cherche, donc on commence demain.” Je lui dis : “Mais vous savez que je n’ai jamais fait de cinéma de ma vie ?” et il me répond : “C’est justement ce qui m’intéresse .” Et le lendemain matin, Claude Miller, qui était alors l’assistant de Godard, vient me chercher avec sa 2 CV. Je lui demande s’il y aura une séance de maquillage – parce que je ne me maquillais jamais. Il me dit “Non, non, rien de tout ça, soyez naturelle et prenez vos vêtements à vous”. Ah bon ? Bon. On va à La Villette, je retrouve Marlène Jobert et Jean-Pierre Léaud dans un café, on se présente, et puis Brigitte Bardot entre dans le café (c’est dans le film) pour retrouver l’acteur et metteur en scène Antoine Bourseiller, et je me dis : Ouah, Brigitte Bardot. Et c’est tout ce que voulait Godard. On venait de tourner la première scène du film.
Vous aviez connaissance de l’existence d’un scénario ?
Non. Tout était improvisé, mais Godard savait ce qu’il voulait. Il parlait à travers Jean-Pierre qui nous posait des questions. Moi ça m’arrangeait, je trouvais ça génial, parce que c’était très journalistique. Et puis il n’y avait pas de texte à apprendre. Il y avait une telle vérité que je me sentais très à l’aise avec lui. Un matin, j’arrive et je dis : “Tiens, figure-toi que Filipacchi vient de m’annoncer que je suis numéro 3 au Japon, derrière Elvis Presley et les Rolling Stones !” Je n’en revenais pas. Et Godard m’a filmée en train de le dire. Avec Jean-Pierre Léaud, tout se passait très bien parce qu’il ressemblait beaucoup à mon frère Alain et je le lui disais. On s’entendait très bien, tous les trois, Marlène, Jean-Pierre et moi. Marlène, c’était pour elle aussi son premier film.
Mais la caméra, les éclairages, vous n’étiez pas intimidée ?
En fait, j’avais fait une figuration dans un film, je vous raconte. Une de mes copines était la petite-fille du directeur des studios de Boulogne, où beaucoup de grands films se tournaient, aussi bien américains que français. J’apprends que Stanley Donen était en train de tourner Charade avec Audrey Hepburn et Cary Grant. J’étais folle. Mais on me dit que ce n’est pas possible d’assister au tournage, et que de toute façon, il n’y a qu’une Française sur le plateau, une actrice qui joue une soubrette, avec le tablier et tout. Je me suis approchée de cette jeune femme et je lui ai directement demandé si je pouvais prendre sa place pour monter le thé à Audrey Hepburn, et elle a accepté. Je tombe nez à nez sur Audrey Hepburn qui me trouve si cute qu’ils m’ont proposé d’être figurante. On me voit danser sur une place avec un marin, peut-être une seconde. Quand on avait un peu de culot, qu’on était souriant et poli, tout se passait bien… ça m’avait beaucoup marquée.
Mais, pour revenir à Masculin-féminin, on sait bien que tout le monde ne s’est pas toujours senti très à l’aise, avec Godard, sur les tournages…
Moi si, très à l’aise. Mais je suis toujours très à l’aise avec les gens compliqués et bizarres (rires). Ils me ressemblent. Les gens plus conventionnels, c’est plus difficile pour moi. Et puis les gens géniaux sont souvent compliqués. Jean-Luc est très intelligent, je crois qu’il avait très bien déterminé comment j’étais. Ça ne me dérangeait pas qu’il en joue un maximum, et en même temps j’étais très contente de faire ce film, parce que je me disais que s’il y avait un seul film à faire dans sa vie, c’était celui-là. Je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire par la suite. Honnêtement, je me trouve très bien, naturelle dans le film. Je savais que j’étais photogénique, mais sans plus. Je suis toujours comme ça aujourd’hui, en fait.
On raconte que vous aviez refusé de tourner nue, quand même, et n’aimiez pas trop être dans un lit avec un homme (en l’occurrence Jean-Pierre Léaud).
Ah oui, à poil, je ne voulais pas. Mais Jean-Luc était pudique et respectueux. Il devait sans doute avoir le fantasme de filmer des filles nues, mais il n’allait pas jusqu’au bout. Moi, je m’étais cachée sous le bidet, sous le lavabo. Marlène était dans la salle de bain, elle passait, elle rigolait. Mais à un moment, Godard a dit : “C’est bizarre, on dirait que c’est toujours la même tête, le même corps qu’on aperçoit .” Alors il m’a trouvée, bien cachée. “Mais qu’est-ce que vous faites là ? – Ah mais non, Jean-Luc, désolé, je ne peux pas embrasser quelqu’un, je ne veux et peux pas me montrer nue, je vous dis la vérité.” Il m’a dit : “Ah ben vous ne serez jamais une vedette !” et je lui ai répondu :“Je m’en fiche, j’en ai déjà une chez moi, c’est ma machine à laver.” Il a éclaté de rire. Il adore les jeux de mots.
Vous avez vu le film à sa sortie ?
Non, j’ai accouché le jour de la sortie. Le film est sorti, le bébé aussi (rires). Je l’ai donc vu plus tard et j’ai adoré. Il y a eu beaucoup de presse. Le journal Candide avait fait une affiche contre le film : “Ces horribles petites Françaises sont-elles vos filles ?” Alors j’arrachais les affiches pour que mes parents ne les voient pas. Je sais qu’il y a des gens qui n’aiment pas le cinéma de Godard, mais moi je trouve que c’est un visionnaire, qui voit loin. On était en 1965, et on y parle contraception, avortement… ! Le film a été interdit aux moins de 18 ans. Moi, je disais : Mais ça devrait être le contraire : interdit aux plus de 18 ans ! (rires). Quand je voyage dans le monde, et que je dis que j’ai tourné dans Masculin, féminin de Godard, tout le monde sait de quoi je parle ! C’est un film culte ! Alors qu’à l’époque, je n’en rendais pas compte. Quand François Chalais m’a interviewé pour la télévision, il m’a demandé ce qu’étaient mes projets futurs, je lui ai répondu : « J’aimerais ouvrir une petite boutique avec de chaussures de toutes les couleurs et les lunettes assorties ! » (rires) Il m’a pris pour une folle. Dans ma tête, quand on avait terminé un film, on n’allait pas en chercher un autre… Quand je suis allée recevoir le prix d’interprétation féminine des mains de Monica Vitti au festival de Sorrente, je venais de me baigner et j’étais en tenue de plage, tennis blanches et cheveux mouillés ! On n’en faisait pas toute une affaire, vous voyez. Et puis j’étais enceinte de Jean-Jacques pendant le tournage, j’avais désormais un enfant, et je n’étais pas pressée de retourner un film, alors que Milos Forman et Polanski m’avaient fait des propositions. Hitchcock, aussi, mais c’est Claude Jade qui a été prise pour jouer dans L’étau, parce que j’étais enceinte de mon second enfant.
Vous avez tourné quelques autres films, quand même.
Oui, Philippe Labro dans Tout peut arriver, par exemple. La Promesse de Paul Feyder et Robert Freeman avec Jacqueline Bisset, Les Gaspards, le film de Pierre Tchernia… Mais même si c’étaient de jolis films, ce n’était pas Jean-Luc Godard.
Vous l’avez revu, depuis, Jean-Luc Godard ?
Non, jamais. Il va bien ?
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