De la Révolution au Paris contemporain, un conte absurde, pince-sans-rire et réjouissant.
Ca commence un peu comme le film de Buñuel, Le Fantôme de la liberté, où le cinéaste hispano-mexicain reconstituait à sa façon un célèbre tableau de Goya montrant les horreurs de l’invasion napoléonienne en Espagne, le 3 mai 1808. Sauf que chez Iosseliani, un vicomte sans peur (l’admirable Rufus) se fait guillotiner sous la Révolution avec sa pipe au bec, sous le regard des ardentes “tricoteuses” (des femmes du peuple qui aimaient assister aux exécutions tout en continuant leur ouvrage), dont l’une gardera sa tête en souvenir (que nous retrouverons plus tard parmi les possessions de sa descendante).
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Ensuite, nous sommes transportés aujourd’hui, où une guerre fait rage. Les hommes tombent comme des mouches, des soldats violent ou pillent, c’est la guerre éternelle, avec ses rites affreux et obligatoires, c’est à la fois tragique et dérisoire, comme une tâche stupide à accomplir en suivant toutes ses règles absurdes et inhumaines que Iosseliani filme avec d’élégants mouvements de caméra.
Petit théâtre de rue
Puis nous voilà à Paris, son petit peuple, ses rues, ses accordéons, lieux, personnages et acteurs habituels de Iosseliani que nous retrouvons avec plaisir. Rufus est réincarné. Il se fait écraser et devient tout plat, suffisamment pour qu’on puisse le glisser sous une porte cochère.
Pour être honnêtes, nous ne savons pas trop bien où le cinéaste parisiano-géorgien veut nous mener, mais nous nous en moquons un peu, tout à la vision de ce petit théâtre de rue sans queue ni tête mais qui offre tant de plaisirs.
Ton détendu, burlesque, ironique
Son cinéma est à la fois apaisant (on ne s’en plaindra pas), plaisant et inquiet. Il y est question d’héritages, de fêtes dans des châteaux, de SDF (Pierre Etaix, toujours remarquable chez Iosseliani), de bitures à la vodka, de gens qui collectionnent des crânes, et d’autres qui essaient, à partir de ces têtes de mort, de reconstituer le visage du défunt.
Un film sur la réincarnation ? La métempsychose ? Mais bien sûr – en fait, sûrement pas. Mais sur un ton détendu, burlesque, ironique, qui ramène toutes les angoisses et sciences humaines et occultes à de délicieux spectacles hilarants et fumeux, filmés avec un art confirmé du découpage, une rigueur pince-sans-rire, un flegmatisme extrême européen sans nulle comparaison.
Plaisir un brin mélancolique
C’est réjouissant, libératoire, peinard, démocratique (le plan général, c’est la démocratie), aristocratique (dandyesque). Les gestes (éventuellement d’amour) y ont plus d’importance que les mots (la plupart du temps inaudibles, comme chez Tati).
Bref, le cinéma de Iosseliani ne change pas mais on y prend toujours autant de plaisir un brin mélancolique. Sa nonchalance est sa gravité.
Chant d’hiver d’Otar Iosseliani (Fr., 2015, 1 h 57)
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