« Changement d’adresse », comme les précédents films d’Emmanuel Mouret (« Laissons Lucie faire ! « et « Vénus et Fleur »), appartient à un cinéma qui se veut modeste et discret, qui relève plutôt de l’intimité et de la concentration de la musique de chambre que de la grande symphonie ronflante.
Rien de plus classique que son histoire. David (Emmanuel Mouret, physique de Fernandel bourgeois avec sa mèche romantique et sa grande écharpe) joue du cor (mot à potentiel comique dont Mouret va tirer le maximum) d’harmonie. Il est même corniste à temps partiel dans un orchestre, donne des cours particuliers le reste du temps et cherche un logement à Paris. Il rencontre par hasard la jolie Anne (Frédérique Bel, vraiment remarquable, aussi drôle qu’émouvante), qui est « dans les photocopies » et surtout à la recherche d’un colocataire. Affaire vite conclue, car nous sommes entre gens délicats qui se fient à leur instinct.
Pourtant, un soir où ils ont un peu bu Ð David ayant, comme nous, mal interprété certains propos et attitudes d’Anne Ð, le corniste saute un peu sur la photocopiste, mais le malentendu est vite levé et Anne, confuse, s’excuse, craignant même que David ne soit tombé amoureux d’elle (car Anne a déjà un amoureux, même si ce dernier l’ignore encore…). Mais heureusement, il n’en est rien.
D’ailleurs, David va très vite tomber amoureux lui aussi, de la première venue, de sa première élève, Julia (Fanny Valette, lire p. 6), jeune bourgeoise coincée et triste. Autant Anne est blonde et volubile, autant Julia est brune et surtout mutique. Mutisme sur lequel David va d’emblée cristalliser Ð c’est classique Ð, un David lui-même un peu entre les deux, ni loquace ni laconique, tout juste un peu bègue ou bafouillant, proférant des banalités au kilomètre quand il est dépassé par ses sentiments et les questions embarrassantes. Ces trois personnages contrastés et drôles vont être les instruments principaux du récit composé par Mouret.
D’ores et déjà, nous savons que le comique de Changement d’adresse naîtra constamment du décalage entre l’attitude des personnages, de ce qu’ils montrent, de ce qu’ils disent, toujours à double sens, et de l’interprétation que les autres en font, de leur réaction en retour, forcément toujours à côté de la plaque. Le langage et ses pièges, mais aussi ceux des sentiments, sont donc au cœur du film, et les personnages y tomberont sans cesse. Ceux de Changement d’adresse (« adresse » comme les mots que s’adressent deux individus) sont à la fois légèrement décalés, fragiles mais aussi enthousiastes Ð et c’est ce qui fait le charme du film. Des personnages pourtant loin d’être stupides. Ils avancent juste les yeux bandés, comme tout bon personnage qui se respecte, et tendent à prendre leurs illusions pour des vérités…
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Un quatrième lascar va venir perturber la quiétude de ce trio (oublions l’amoureux d’Anne, qui nous restera invisible) et le transformer en quatuor. Il se prénomme Julien, a tout du dragueur de côte normande, avec sa voiture de sport et son prétendu restaurant à New York ; il est joué par Dany Brillant, et il va draguer éhontément Julia sous les yeux de David, un jour que celui-ci a emmené sa belle en week-end à Trouville, pensant la séduire. David, peu résistant, ira finir la nuit au bord de la plage, la passant à tenter d’allumer une cigarette Ð Mouret en profitant pour nous montrer qu’il sait ce qu’est une ellipse et l’usage efficace qu’on peut en faire à l’occasion dans une comédie. Au matin, Julien s’en va, laissant Julia amoureuse mais sans moyen de le recontacter. Julia bientôt se consolera dans les bras de David. Là sans doute pourrions-nous nous arrêter sur l’idée reçue que Julien est un salaud, mais ce sera tout le mérite de Changement d’adresse que de savoir donner sa chance à chacun de ses personnages…
Ainsi ira le film de Mouret, de situations que l’on croyait définitives en solutions provisoires, de vaste duplex d’artiste en minuscule chambre de bonne Ð mais qu’importe la place pourvu qu’on ait le bonheur Ð, d’amours éternelles en amours passagères, tissant élégamment une comédie fraîche et sans prétention où ni le spectateur ni les personnages ne sont pris pour des crétins.
Enfin, remarquons qu’Emmanuel Mouret, encore jeune cinéaste, n’a cessé de progresser depuis son premier film, abandonnant peu à peu son côté Rohmer light (bien que plaisant dans son genre) pour créer sans tambour ni trompette son petit univers personnel, tendre mais pas niais, et nous faire entendre une petite musique qui n’appartient enfin qu’à lui, où l’on ne cesse de passer du majeur au mineur sans qu’on y prenne toujours garde, où les cœurs bougent certes comme des portes mais ne claquent jamais. Jean-Baptiste Morain
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