Chiara Mastroianni, Vincent Lacoste, Camille Cottin et Benjamin Biolay dans un chassé-croisé sentimental émouvant et radieux.
Les films des années 2000 de Christophe Honoré (Dans Paris, Les chansons d’amour…) ont fixé l’image d’une cinéphilie toute entière vouée au culte de la Nouvelle Vague – avec Godard et Truffaut en pôles d’attraction majeurs. Chambre 212 est aussi une promenade dans la cinémathèque personnelle du cinéaste, mais cette fois le film ouvre des corridors qu’on ne soupçonnait pas. Le canevas est américain – puisqu’il s’agit d’une comédie du remariage, sous-genre mythique de la comédie hollywoodienne classique, auquel le philosophe Stanley Cavell a consacré un ouvrage sublime (A la poursuite du bonheur, 1981). Le genre selon Cavell s’inscrivait dans une certaine idéologie du perfectionnisme moral, où chacun pouvait apprendre, repriser ses erreurs et, selon une formule fameuse, « surmonter le mariage par le mariage ».
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Richard (Benjamin Biolay) et Catherine (Chiara Mastroianni) sont mariés depuis vingt ans. Selon des modalités d’usure très banales, le désir amoureux s’est peu à peu converti en grand attachement fraternel. Jusqu’à ce que la révélation d’un adultère précipite le couple dans une grande remise en question. Il suffit de traverser la rue et prendre une chambre dans l’hotel d’en face pour voir sa vie projetée face à soi comme sur un écran de cinéma (l’effet Rear window). Et il suffit d’un écran pour que les fantômes viennent à la rencontre du spectateur.
Un détour des codes
C’est là que la petite cinémathèque du film se détache de son ancrage hollywodien pour voguer à nouveau dans les eaux du cinéma national. Cette neige artificielle, cette stylisation old-school de l’artificialité du studio, cette théatralité de cinéma un peu pastel, c’est une échappée vers tout un pan du cinéma d’Alain Resnais (de Mélo à Cœurs). Mais la réminiscence à la fois la plus inattendue et la plus prégnante du film, c’est le souvenir du cinéma de Bertrand Blier. Catherine (Chiara) sillonne dans le dédale temporel de ses amours sédimentées ; tous les hommes aimés forment un étrange chœur de théâtre, commentant les gesticulations mentales de Richard jeune et vieux en même temps. Et Carole Bouquet est la marraine adéquate de ces noces de cendre.
Dans Buffet froid, Carole Bouquet apparaissait dans le dernier mouvement du film pour incarner une implacable image de mort. Ici, elle apparait tout aussi tard mais pour incarner une image assez réconciliée de la vie. C’est tout ce qui sépare le cinéma de Blier de celui d’Honoré. Et tous les emprunts du second au premier en marque aussi l’écart. Misanthropie perfide contre sentimentalité empathique ; masculinité toxique contre female gaze (Chiara Mastroianni incarne avec un irrésistible allant un don juanisme féminin absolument réjouissant). Comme si le film opérait un détour vers les codes d’un auteur pour mieux en subvertir la vision.
Apprend-on forcément de ses erreurs ?
La référence chez Honoré est moins une révérence qu’une façon aussi d’en découdre avec des modèles. Et c’est aussi l’idéologie (cavellienne) de l’amélioration par l’erreur et du retour incontournable au bercail propre à la comédie de remariage qu’Honoré se permet aussi de miner. Apprend-on forcément de ses erreurs ? Le risque de détruire en un instant ce qu’on a mis une vie à construire est-il d’ailleurs forcément une erreur ? Dans Non ma fille tu n’iras pas danser, le personnage de Chiara Mastroianni faisait le choix de la rupture et du saut dans le vide. Dix ans plus tard, le nouveau personnage de Chiara est moins radical. Mais la poursuite du bonheur reste un chemin incertain. Poursuivre ou bifurquer : le film délivre plus de doutes que de réponses.
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