Un ami de Claude Chabrol revient sur la personnalité joviale mais angoissée du cinéaste dans un livre d’entretiens inédits avec lui, mais aussi avec son entourage. Et élargit la connaissance qu’on avait de l’homme.
Le malicieux Claude Chabrol a beaucoup raconté sa vie, en l’arrangeant un peu à chaque fois. Sa première autobiographie, finement intitulée Et pourtant je tourne (sic), date de 1976 : il avait alors 46 ans.
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Ensuite, il y eut plusieurs livres d’entretiens avec François Guérif, dont Comment faire un film en 2003. Les éditions du Cherche Midi ont même publié ses Pensées, répliques et anecdotes en 2002. A chaque fois, il peaufinait les mêmes histoires : comment on le nourrit avec du sang quand il était bébé, comment il finança son premier film avec l’héritage de la grand-mère de sa première femme, comment Truffaut et lui tombèrent dans une piscine en allant rencontrer Hitchcock pour la première fois, etc.
Il aimait aussi transformer ses amis de la Nouvelle Vague en caricatures savoureuses : Godard le pickpocket, Rohmer le satyre, Paul Gégauff le sadique, etc. Chabrol aimait rire, on ne prenait pas tout ce qu’il disait au pied de la lettre, mais l’on aimait rire avec lui. Et puis voici ce Claude Chabrol par lui-même et par les siens, rédigé par un journaliste de ses amis, Michel Pascal.
Se raconter, une dernière fois
Dans les derniers mois de sa vie, Chabrol a accepté de se raconter une nouvelle fois, sans savoir que c’était la dernière. Il mourut, en septembre dernier, sans avoir achevé ces entretiens, menés semble-t-il au fil de la pensée, comme ça sortait, dans l’ordre que la mémoire et l’esprit donnent aux choses. Ceux qui s’attendent à un livre sur le cinéma seront déçus, forcément.
Mais ceux qui aiment bien Chabrol l’homme public seront charmés. Evidemment par les récits croquignolets, encore une fois retravaillés, repeints avec de nouvelles couleurs. Les connaisseurs de Chabrol n’apprendront là rien de nouveau. Mais Michel Pascal, sans doute déçu de n’avoir pu mener à leur perfection ses discussions endiablées avec Chabrol, a eu la bonne idée d’ajouter au récit du cinéaste des témoignages à chaud de ses proches.
D’abord ceux de ses trois épouses successives (dont celui, drôle et surprenant, d’Aurore Paquiss, absolument magnifique), puis de trois de ses enfants (seul Thomas Chabrol, son fils acteur, ne prend pas la parole), y adjoignant le beau texte de l’hommage que rendit Isabelle Huppert à l’un de ses cinéastes fétiches le jour de ses obsèques, sur le parvis de la Cinémathèque française.
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Chabrol y est présent à chaque ligne
L’ensemble de ces témoignages permet de dresser un portrait un peu moins fantasmé que celui que Chabrol aimait tracer de lui. Chabrol, pourtant, on le reconnaît à chaque ligne. Tout en apercevant aussi tout ce qu’il avait toujours voulu savamment dissimuler derrière sa face joviale : ses angoisses, sa pudeur excessive, ses petites manies (le long bain du matin), une maladresse souvent dans les rapports humains (les pensions alimentaires que ses enfants devaient venir chercher sur les tournages…) une volonté de se protéger du monde extérieur, sans doute un ego assez fort, et toujours et encore ce qui le passionnait avant tout, qui l’occupait tout entier dans sa vie : le cinéma.
Avec, au bout, la maladie et la mort, auxquelles apparemment il ne voulait pas croire, convaincu, comme en témoignent plusieurs de ses proches, que l’esprit l’emportait toujours sur la matière… Comme si la mort l’avait pris par surprise.
Jean-Baptiste Morain
Claude Chabrol par lui-même et par les siens propos recueillis par Michel Pascal (Stock), 240 pages, 20 €
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