Comment la ligue communiste révolutionnaire est devenue le Nouveau parti anticapitaliste : un documentaire a suivi de l’intérieur la transformation du mouvement trotskiste. Que reste-t-il de cette révolution annoncée ?
Des femmes et des hommes s’affairent dans des locaux sans charme. Ils classent, rangent, jettent des piles de dossiers (compromettants ?) à la poubelle. Travaux ? Déménagement ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Parmi ces déménageurs cool, on en reconnaît un : Olivier Besancenot.
Cette première séquence de C’est parti (titre à plusieurs entrées), documentaire de Camille de Casabianca, donne le ton : la Ligue communiste révolutionnaire 2008, en pleine mutation Nouveau parti anticapitaliste, c’est ambiance popote, copains, chantier, bordel et changement.
Situation et décors naturels en disent plus long que tout discours, scénario ou dialogues : la transition LCR-NPA, c’est un vrai matériau politique et cinématographique, belle intuition centrale de Camille de Casabianca.
Camille de Casabianca était la cinéaste idéale pour ce projet. Elle écrit au début de son magnifique journal de tournage : “Grand jour : Olivier est d’accord. Ils me donnent leur bénédiction. C’est le mot, car j’ai l’impression de pénétrer dans une congrégation. Je pourrai tout filmer. Ils me font “entièrement confiance”. Je sens que cette solennité me lie mais je ne m’alerte pas trop. D’une part, j’ai l’œil moqueur, d’autre part, je ne sais pas faire de films sur des gens dont je me paie la fiole : ils auront l’air sympathiques.”
Comme on l’apprend dans son texte, elle fut encartée à la LCR pendant ses années lycée puis fac, au début des eighties. Après un séjour d’études aux Etats-Unis, elle a quitté la Ligue et les utopies révolutionnaires. “A deux pas du campus californien, j’avais sous les yeux la classe ouvrière américaine avec ses trois voitures par famille. Son potentiel de révolte m’a paru très bas. Le doute s’est installé en moi puis la certitude que, de mon vivant en tout cas, je ne risquais pas de connaître le Grand Soir.”
Elle était à la distance parfaite pour ce film : dedans dehors, humainement en empathie, politiquement critique et lucide. Sa proximité amicale avec les leaders historiques, Krivine, Sabado lui a permis de se fondre avec sa caméra au sein de la LCR pendant de longs mois.
Sa distance idéologique et sa position de cinéaste lui ont donné le recul nécessaire. Son intelligence de cinéaste a fait le reste : pas de commentaires, pas d’entretiens posés.
C’est parti se fonde sur l’immersion, l’observation, le travail de montage. Au final, des scènes saisies à vif, d’une simplicité qui fait la force et la beauté du film, mélangeant empathie et ironie, accompagnement et distanciation amusée, respect et mélancolie comme devant de beaux combats perdus d’avance.
Dans le film, la LCR-NPA se manifeste d’abord par beaucoup de parlottes, de débats et de discussions sans fin. Quelle stratégie pour les échéances électorales à venir ? Comment sensibiliser les jeunes générations ? Comment régler la mire du rapport aux médias ? Comment concilier la célébrité d’Olivier Besancenot avec le refus du culte de la personnalité et de la notion de chef ?
“Olivier est assailli par des journalistes qu’il fuit. On sent la toute petite entreprise, l’attaché de presse, gentil, bénévole, le côté dépassé par les événements. En réalité, toute intimité donne cette impression de bricolage. Un film sur l’UMP aurait mis en lumière la même approximation. Mais eux ne m’auraient pas laissé voir leur activité au jour le jour : leur idéologie est celle de princes qui font rêver les manants.”
Les membres de l’état-major LCR-NPA passent des heures à ferrailler comme des ados. La LCR apparaît ainsi comme une entité démocratique où la liberté de parole est entière.
Mais ce primat de la parole n’est-il pas aussi la drogue mortifère, le piège dans lequel s’enferme la Ligue (comme la plupart des mouvements d’extrême gauche) ? Dans une des séquences apparaît le sénateur PS Henri Weber, lui-même issu de la Ligue.
En soixante-dix ans, dit-il, quel a été l’apport réel du trotskisme dans les transformations de la société française ? Quelle réforme l’extrême gauche a-t-elle imposée ?
Weber pose les bonnes questions et ajoute qu’il lui faudrait deux heures pour énumérer les lois ou changements dus à la gauche de gouvernement. Weber essuie une réplique virulente de François Sabado sur les compromissions ou trahisons du PS.
Cet échange résume les questions que pose tout le film : agir, influer, transformer, cela ne suppose-t-il pas une certaine souplesse et quelques compromis – qui ne sont pas synonymes de compromission ? Rester dans une supposée pureté idéologique, n’est-ce pas se condamner à la marge, à l’inaction, à la parole réifiée mais impuissante qui regarde passer les trains du changement ?
Pour changer la vie des hommes ne faut-il pas dépasser la pure politique ? Apple (tendance Mac comme tendance Beatles) n’a-t-il pas révolutionné le monde plus sûrement que n’importe quel groupuscule révolutionnaire ? On y pense en voyant tous les ordis qui équipent les bureaux de la LCR-NPA.
On a beau être anticapitaliste, les produits du capitalisme sont quand même bien utiles. C’est bien parce qu’ils ont pris conscience de leurs archaïsmes que les têtes pensantes de la LCR ont décidé de se transformer en NPA.
Simple changement de façade peut-on penser. Mais le film montre bien l’obsession des vieux dirigeants à transmettre leur message aux jeunes. Le prolétariat ouvrier s’amenuisant, la vieille Ligue tente de trouver des troupes fraîches dans les cités de banlieue, ce nouveau prolétariat contemporain.
Ce n’est pas gagné. Une des scènes les plus ironiques du film montre que certains jeunes beurs ont un problème avec des mots comme “révolutionnaire” ou “anticapitaliste”.
Il y a bien sûr une certaine logique à ce que le NPA rencontre les populations déshéritées des técis, à ce qu’une formation politique s’affichant anticapitaliste séduise un pan de la société victime du libéralisme et d’une ségrégation rampante.
Mais il y a des silences, un malentendu : les djeuns n’en ont rien à battre de Trotski ou de la IVe Internationale (marquant la scission entre Staline et Trotski). Ils ne sont pas anticapitalistes, ils veulent au contraire leur part des richesses.
Autre flou soulevé par le documentaire : la place de la religion. Comment concilier un parti de tradition athée, voire anticléricale, avec la culture musulmane ? Pas simple, comme le montre une discussion entre un jeune militant beur et une camarade plus âgée et très féministe.
C’est parti questionne l’impuissance du NPA et de l’extrême gauche, mouvances qui passent leur temps à blablater et critiquer, mais agissent peu sur les leviers de pouvoir et de changement.
Il montre aussi que ces trotskistes-là sont sympathiques, ouverts, cultivés, à l’image du regretté philosophe Daniel Bensaïd, un des fondateurs de la Ligue, récemment disparu. On sent qu’il est agréable de les côtoyer, tant intellectuellement qu’humainement.
Le film laisse une image ambiguë mais peut-être exacte du militantisme LCR-NPA : jusqu’à aujourd’hui, ce parti n’a jamais rien changé à la société française, refusant le pouvoir, remettant éternellement à demain l’hypothétique Grand Soir. Mais c’est une famille de substitution où il fait bon vivre et penser.
I Les propos de Camille de Casabianca sont extraits de son journal de tournage.
{"type":"Banniere-Basse"}