Un cinéma social, complexe et nuancé : après le portrait impétueux de Party Girl, Claire Burger évite de nouveau les écueils du genre grâce à son écriture exigeante et à l’interprétation de Bouli Lanners.
Un mauvais titre peut cacher un bon film. Celui de “C’est ça l’amour” (aux faux airs de Et si l’amour c’était aimer ?, la parodie de roman-photo à l’eau de rose de Fabcaro) nous inspirait, avant de le voir, tout un imaginaire de la guimauve humaniste, de la fable sociale de bon ton, de la dramédie “à hauteur d’homme”. Et le programme annoncé n’était pas vraiment de nature à dissiper les craintes : un père divorcé en perte d’équilibre (Bouli Lanners), vacillant entre ses deux adolescentes revêches de filles et une femme qu’il ne se résout pas à laisser lui échapper. Le tout sur fond de chronique sociale douce-amère : l’action se déroule à Forbach, dans une France qui peine à joindre les deux bouts. Bref, un condensé de bons sentiments.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Surprise : C’est ça l’amour est tout le contraire. Ou plus exactement, il est à la fois un spécimen parfait de ce cliché humaniste et sa rénovation à neuf, sa chance de salut, son antidote : un éventail d’intrigues familiales et sociales qui ne se départit certes jamais d’une certaine forme de consensualité, mais qui parvient miraculeusement à la retourner comme un gant pour la rendre signifiante et robuste.
L’intrigue principale circule, donc, autour d’un père, et il n’est pas anodin qu’il soit joué par Bouli Lanners, patapouf mélancolique bien connu de la fiction sociale franco-belge, régulier des seconds rôles grolandais et dont on s’attend naturellement, quand le film démarre, à ce qu’il foire tout. Or non : Mario, tout fragile et faillible soit-il, est un bon père plein d’écoute, de remise en question, aussi apte à la bienveillance qu’à la fermeté, et de manière générale un personnage tout sauf pathétique (même quand il s’inscrit aux répètes d’un projet théâtral uniquement pour y courir après son ex-femme éclairagiste).
La dignité, la noblesse et la richesse que Claire Burger lui restitue, elle les reproduit de même à tous les participants de son film. Exemple avec la pièce de théâtre en question, qui existe vraiment : c’est Atlas, projet itinérant recrutant dans chaque ville où il passe des participants de toutes les couches sociales pour leur faire dire quelques mots qui les définissent, et dont Burger a imaginé une étape à Forbach en toile de fond. Là aussi, on redoute l’ode au vivre-ensemble, et pourtant toutes les scènes de répétition s’avèrent puissantes, sans afféterie ni misérabilisme.
Contrecarrer les évidences consensuelles et les stéréotypes rebattus, papas défaillants, prolétaires tristounes, ados en crise, en mettant leur simplisme à l’épreuve d’une écriture riche, complexe et minutieuse : on ne sait pas si c’est ça l’amour, mais c’est sans nul doute ça qu’on attend d’un film dit “rassembleur”, d’un portrait de France populaire. On n’aurait pas osé en demander autant à ce second film, et à l’œuvre naissante de la cinéaste (quatre ans après avoir coréalisé Party Girl, Caméra d’or 2014) dont il vient confirmer les qualités de cœur et la rigueur d’exécution.
C’est ça l’amour de Claire Burger (Fr., 2018, 1 h 38)
{"type":"Banniere-Basse"}