Subtil mélodrame et acte de foi dans le cinéma, Center Stage est une ode à la star disparue et à l’éternel féminin. Remarqué avec Rouge (1985), une histoire de fantômes romantique, Stanley Kwan n’a pas encore en France la notoriété de Hou Hsiao-hsien ou de Wong Kar-wai. Miraculeusement sur nos écrans après sept ans d’attente, […]
Subtil mélodrame et acte de foi dans le cinéma, Center Stage est une ode à la star disparue et à l’éternel féminin.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Remarqué avec Rouge (1985), une histoire de fantômes romantique, Stanley Kwan n’a pas encore en France la notoriété de Hou Hsiao-hsien ou de Wong Kar-wai. Miraculeusement sur nos écrans après sept ans d’attente, Center stage apparaît donc aujourd’hui comme une magnifique découverte à rebours qui devrait encourager la connaissance, pour l’instant lacunaire, de la filmographie du cinéaste taïwanais treize films à ce jour.
Center stage raconte la vie et la mort de Ruan Lingyu (1910-1935), première star du cinéma chinois, de ses débuts à 16 ans jusqu’au sommet de sa carrière, quelques grands rôles plus tard, dans une dizaine de mélos tombés aux oubliettes. Ruan Lingyu, malgré sa beauté incroyablement glamour, fut davantage qu’une simple vedette. Femme libre, femme moderne, elle mit fin à ses jours à cause d’une campagne diffamatoire organisée par la presse (elle était entretenue par un homme marié). Son suicide eut lieu le jour de la fête des Femmes.
« Aimerais-tu que l’on se souvienne de toi ? » est la question centrale de cette « biopic » atypique. Center stage commence comme un documentaire (Maggie Cheung accompagnant Stanley Kwan lors d’interviews des amis survivants de la star) et se poursuit en reconstitution historique (Maggie Cheung interprétant Ruan Lingyu). Le reportage n’est cependant pas abandonné et vient parfois interrompre la fiction, majoritaire.
A ces deux niveaux du film vient se greffer un troisième, le plus inattendu et le plus émouvant : les extraits des rares films de Ruan Lingyu restaurés pour les besoins du travail de Stanley Kwan on pense à la fameuse phrase de Cocteau, « le cinéma, c’est la mort au travail ». Ces extraits, injectés moins comme des relais à une fiction défaillante que comme une distanciation supplémentaire, renforcent la scission entre la biographie romanesque et l’enregistrement du réel. De même que les entretiens filmés en vidéo dans lesquels Maggie Cheung apparaît nous rappellent que Maggie n’est jamais Ruan Lingyu (et son travail de comédienne est loin d’être mis en cause, au contraire), mais une actrice jouant Ruan Lingyu (les extraits de films muets, dans lesquels la ressemblance physique entre les deux actrices n’est pas frappante, l’attestent).
Ainsi, Kwan n’a pas besoin d’altérer la nature d’images d’archives par l’informatique (voir les récents exemples du cinéma hollywoodien, de plus en plus proche des pratiques publicitaires, dans lesquels un comédien peut serrer la main à une figure historique) pour nous faire croire à la performance de son actrice et à la vérité de son personnage. Center stage est un film qui croit encore à la puissance évocatrice des plans, qui respecte leur homogénéité, leur permet de dialoguer entre eux. Cela s’appelle tout simplement le montage.
Il faut répéter combien Maggie Cheung parvient à exprimer la subtilité et la complexité de ce rôle, jouant celle qui joua, au cinéma et dans la vie, à la perfection. Cette mise en abyme (film dans le film, tournage dans le tournage) n’est pas vertigineuse, mais limpide. Et la douceur du film masque la violence d’émotions réprimées. Stanley Kwan s’est bien souvenu de Ruan Lingyu, il ne l’a pas momifiée en icône kitsch. Il s’est souvenu d’elle pour mieux parler au présent des actrices et des femmes.
{"type":"Banniere-Basse"}