Retour en salle d’un des plus beaux films qui soit : une comédie magique dans les interstices de plusieurs mondes.
« Ya plein d’trous dans c’machin”, dit Céline (Juliet Berto) à Julie (Dominique Labourier) dans le meilleur film du monde (encore un ? il y en a plusieurs). Du monde, il y en a ici, il y en aurait même plusieurs. D’où la seule question qui vaille : comment passer de l’un à l’autre ? Cette question ne sera pas celle, philosophique, des possibles “manières de faire des mondes”. Mais celle, magique, de tous les passages possibles entre eux : manières de faire des trous.
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Céline et Julie vont en bateau de Jacques Rivette (1974) arrive, de toute sa force transformiste, à être à la fois un gruyère, un bateau et un astre. Un bloc de trous, une pure ligne et une sphère. Un dédale de portes communicantes, une succession d’aventures à toute vitesse, et un genre d’objet cosmique qui tourne en boucle sur lui-même, étoile dont l’ascendant se lit en signes épars sur la vie des créatures. Espace, temps et magie. Mais, entre ces trois grandes dimensions trop petites pour elles, deux personnages, deux actrices, deux filles débarquent, pour arpenter et détraquer le machin.
Peut-être un film
Le machin plein de trous en question, avec ses multiples accès et sorties de secours, est quelque chose, au premier abord, de très étrange. C’est peut-être une pièce de théâtre : quatre figures jouant tous les jours la même histoire désuète. C’est peut-être un trip : on y accède par absorption de bonbons et de mixtures. C’est peut-être un film : on le regarde avec l’œil critique du fou rire.
C’est peut-être un autre monde : pratiquer la magie aide à s’y retrouver. Ou bien quelque chose qui aurait à voir avec ce qui porte le drôle de nom de “réalité virtuelle”, un mélange d’interactivité et d’inertie, un monde de synthèse qu’on transforme tout en le laissant inchangé : peut-être ce qu’on appelle, sans y croire, le passé.
L’espace est absorbé, le temps s’enfuit
Toujours est-il que ça se détraque, que les trous prennent de la place dans le monde, où ne restent, à la fin, que les passages ; où ne compte, à la fin, que la rencontre. Avant tout celle de Céline et Julie, qui ouvre et clôt le film, en même temps que le film n’est que cela : leur rencontre, à chaque scène, et leur joie de se rencontrer.
Chaque film de Jacques Rivette rejoue pour nous son propre tournage, cet événement où la vie et le film ne font qu’un, la vie dans les trous. Où l’espace est absorbé, le temps s’enfuit et la magie se dissipe, quelque chose d’autre s’ouvre, qui n’est ou n’était rien d’autre que le cinéma. Rien que ça. De la pure comédie. Un passé capable de nous dire encore tout l’avenir.
Céline et Julie vont en bateau de Jacques Rivette (Fr., 1974, 3 h 05, reprise)
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