Dans un « jeune cinéma français » où les (trop) bons élèves sont légion et les regards vraiment singuliers fort rares, Alain Guiraudie a d’abord l’immense mérite de faire des films qui ne ressemblent à rien de connu. Dès le premier plan, qui montre un jeune homme en train d’attendre quelqu’un qu’il ne connaît pas, alors que […]
Dans un « jeune cinéma français » où les (trop) bons élèves sont légion et les regards vraiment singuliers fort rares, Alain Guiraudie a d’abord l’immense mérite de faire des films qui ne ressemblent à rien de connu. Dès le premier plan, qui montre un jeune homme en train d’attendre quelqu’un qu’il ne connaît pas, alors que défile devant lui une petite troupe d’ouvriers qui entrent à l’usine, Guiraudie instaure une ambiguïté qui va irriguer tout le film. Si l’ambiance de la scène est clairement de l’ordre du rendez-vous professionnel (le jeune technicien vient démonter une machine, la dernière récupérable avant fermeture définitive, et guette le contremaître, son interlocuteur), il suffirait de la modifier un peu (la nuit au lieu du matin, par exemple) pour qu’elle contienne une dimension de drague homosexuelle. La force du film réside dans cette capacité de suggestion, cette lente érotisation des lieux – les voûtes de l’usine filmées comme un espace fantastique, une paroisse morte, une cathédrale déjà en ruines, une toile d’un Hubert Robert moderne – et des corps, à la fois communs et glorieux, abîmés par le travail et magnifiés par sa soudaine absence, traversés puis délaissés par lui, littéralement en manque.
Dès lors, tout est question de distance. Si Guiraudie ne cherche pas à dissimuler sa propre nostalgie devant ce monde ouvrier en voie d’engloutissement, il la communique sans aucun sentimentalisme. Et choisit le mode de l’improbable, de l’accidentel, donc du burlesque. L’étrangeté du film tient toute entière à la qualité de regard que porte Guiraudie sur ses personnages, sa manière de les caresser de loin, de les faire exister pleinement sans les épingler le moins du monde. Il y a du Jurassic Park dans Ce vieux rêve qui bouge. Mais Guiraudie aime ses dinosaures.
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