A l’occasion de la sortie de son deuxième long métrage Ce sentiment de l’été , nous avons rencontré Mikhaël Hers, dans un petit hôtel du IXe arrondissement où ont été tournées une partie des séquences parisiennes du film.
Remarqué pour ses moyens métrages salués dans de nombreux festivals (Primrose Hill primé à Clermont Ferrand, et Montparnasse lauréat du prix Jean Vigo et primé à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2009), Mikhaël Hers occupe une place encore discrète mais précieuse dans le cinéma français. En 2010, Memory Lane, son premier long métrage, brossait le portrait en demi-teinte d’un groupe de jeunes trentenaires revenant, le temps d’un été, dans la ville de leur enfance. Un premier essai remarqué à l’époque donnant lieu à un film modeste, sensible et mélancolique doublé d’une certaine inquiétude.
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Son nouveau film, Ce sentiment de l’été, débute par la mort brutale de Sasha, jeune fille vivant à Berlin avec son compagnon Lawrence (Reprise, Oslo 31 août, Fidelio, l’Odyssée d’Alice). Mikhaël Hers explore ici les rouages du deuil (double porté par l’amoureux et la sœur de la disparue) à travers quatre villes (New York, Paris, Berlin et Annecy), une saison (l’été) et trois époques. De Charell (son premier moyen métrage) à Ce sentiment de l’été le cinéma de Mikhaël Hers semble porté par des obsessions telles que la perte, le temps qui passe et la séparation.
Des motifs qui résonnent avec la littérature de Patrick Modiano (Charell est adapté de De si braves garçons) tant dans l’atmosphère que dans le rapport qu’entretiennent les personnages avec les lieux et le temps. Aux personnages de Modiano, qui arpentent inlassablement rues et halls d’immeubles déserts, autrefois habités, se calquent ceux de Mikhaël Hers traversant des lieux imprégnés d’une présence fantomatique et mémorielle : l’enfance dans Memory Lane et la disparition dans Ce sentiment de l’été.
Mais plutôt que d’accaparer la douleur de ses personnages et d’en restituer la triste psychologie, le cinéaste substitue la mort à la vie. Ce sentiment de l’été est un film profondément sensible et lumineux, nimbé d’une infinie tristesse mais revigoré par un élan de vie. Rencontre
https://www.youtube.com/watch?v=G3O_1Mi8MhI
Peux-tu parler de ton parcours ? Comment es-tu arrivé au cinéma ?
Mikhaël Hers – Curieusement c’est quelque chose que je porte en moi depuis très longtemps. C’est une intuition que j’ai depuis l’enfance même si je ne faisais rien de concret pour y parvenir. J’ai mis du temps à m’autoriser à faire du cinéma. Je ne faisais pas partie de ces gens qui prennent une caméra et qui vont faire des films entre amis. Donc j’ai fait des longues études et une fois arrivé au terme de ces études c’était le moment. Il n’y avait plus de possibilité d’évitement et j’ai passé le concours d’entrée de la Fémis. Après en être sorti, j’ai réalisé trois moyens métrages Charell, Primose Hill et Montparnasse qui ont fait beaucoup de festivals, et ont eu une belle vie. Cela m’a permis de passer à mon premier long métrage Memory Lane.
Comment est né ton dernier film, Ce Sentiment de l’été ?
L’inspiration part très souvent des lieux. J’ai une mémoire qui se cristallise beaucoup autour des décors, des endroits. Filmer pour moi c’est très souvent l’occasion de réinvestir un lieu que j’ai aimé, c’est presque une occasion pour retrouver un décor qui me parle. J’entretiens un rapport affectif assez fort avec ces villes. Il y a ensuite des thématiques qui reviennent un peu de manière obsessionnelle quand j’écris : l‘absence, la séparation, la disparition étaient abordés dans mes autres films peut être de manière un peu plus métaphorique, un peu plus abstraite. Ici le point de départ du film est un peu plus frontal. Dans le fond, le sujet reste le même.
Quel était le point de départ du film : le deuil ou ce récit articulé autour de trois villes, trois époques et une saison ?
Les deux choses sont arrivées de manière concomitante. La première chose évidement c’est cette bascule, cette disparition soudaine. C’est le point de départ. Et très vite, ça s’est articulé avec ces deux grandes ellipses qui structurent le récit et ces trois lieux. C’est vraiment trois choses qui sont venues en même temps et très souvent pour que le désir s’enclenche, j’ai besoin de l’incarner dans un lieu, et ensuite les choses s’agrègent.
Tu entretiens un rapport particulier avec les lieux. Dans Memory Lane, qui se déroule à Sèvres, on sait que Paris n’est pas loin et en même temps on a l’impression que c’est un lieu assez “coupé” de tout, très vert. Dans Ce sentiment de l’été, tu filmes encore des villes sans cesse envahies de verdure.
Oui, ce sont des paysages qui me touchent et que je cherche un peu tout le temps d’ailleurs. Je pense que ça donne un peu l’unité du film dans Ce sentiment de l’été. Très souvent, je m’aperçois effectivement que je suis en quête de paysages qui mêlent des espaces boisés, fleuris, des parcs et puis des ensembles urbains, des choses plus construites. Ce sont les lieux de mon enfance que je recherche certainement, inlassablement.
Est-ce qu’il y a une part de nostalgie dans tes films ?
Non je suis attaché au lieu mais toujours avec l’envie que le présent l’investisse. La nostalgie a quelque chose d’un peu péjoratif, un peu complaisant pour le coup totalement tournée vers le passé alors que j’aime la vie. J’aime que tout ça se conjugue dans une forme de présent. Nous sommes faits de nos souvenirs, de lieux dans lesquels on ne vit plus, de sensations de choses enfuies, mais il faut trouver une manière de les faire réexister au présent.
Ce sentiment de l’été parle du deuil, mais c’est un film très lumineux. C’était un peu le mot d’ordre pour faire ce film ?
Je crois que c’est aussi parce que j’ai beaucoup de mal avec l’idée qu’un film ne se résume qu’à un sujet, à un concept. Je ne voulais pas faire un film glauque, mais plutôt, malgré ce point de départ frontal et dramatique, résolument lumineux. Ce qui n’empêche pas par ailleurs ni la douleur ni une forme de violence souterraine.
Le film se déroule sur trois étés consécutifs. Pourquoi exclusivement cette saison ?
Parce que l’été, pour moi, est à la fois une saison pleine de renouveau, de lumière, de promesses et en même temps, c’est une période pendant laquelle l’absence est peut être la plus cruelle la plus prégnante. J’ai le sentiment que c’est en été que le vide, l’absence, le manque peuvent être ressentis de la façon la plus violente.
Tu filmes aussi beaucoup les fins de journées, les couchers de soleil.
C’est un moment qui me touche beaucoup, que j’aime particulièrement. En plus quand on tourne en pellicule c’est un peu l’heure magique de la journée. C’est quelque chose de très émouvant la tombée du jour saisie en pellicule. C’est un espace très réconfortant. On est à la lisière de quelque chose, on a pas totalement quitté le jour et en même temps, il y a la promesse d’une autre chose qui s’annonce. C’est un peu ce que je recherche. C’est un état qui me rend généralement très heureux. Malheureusement on ne peut pas faire tout le film dans cette lumière-là – à moins de s’appeler Terrence Malick. (rires)
La pellicule s’est imposée rapidement pour ton film ?
Oui, c’est un format qui me touche. Presque tous mes films sont tournés en super 16. C’est un format très granuleux, il y a de la matière, presque une épaisseur dans l’image, on pourrait avoir prise sur elle. Elle est imparfaite,très différente des images lisses, totalement définies, “sur-définies” du numérique. Je pense que c’est un format qui se prête assez bien à la thématique du passage du temps, à l’enchevêtrement des époques.
Comment as-tu découvert Anders Danielsen Lie, qui joue le personnage de Lawrence dans le film ?
J’avais découvert Anders dans les films de Joachim Trier, Reprise puis Oslo 31 aout. Pour ce rôle-là, j’avais besoin de quelqu’un qui ne se donne pas forcément tout de suite, qu’on apprenne à aimer. Il a quelque chose au premier abord qui peut paraître un peu austère, un peu anguleux, un peu mystérieux et en même temps dès qu’il fend un peu l’armure, un simple sourire suffit à l’illuminer, à le rendre très émouvant, et à dégager beaucoup d’empathie.
Eric Rohmer est souvent cité lorsqu’on évoque ton cinéma.
Oui, parce qu’on y trouve des acteurs en commun (Marie Rivière et Féodor Atkine). C’est un réalisateur que j’aime beaucoup, énormément. Je ne suis pas un grand cinéphile mais je pense que ce sont des films très différents. J’ai une culture très lacunaire, mais en tout cas c’est un cinéaste qui compte énormément pour moi. La psychologie de ses personnages, leur sentiments, la façon de filmer, de s’emparer d’un lieu, la topographie, l’économie de moyens avec laquelle il faisait ses films sont pour moi des références majeures.
Tu n’es pas cinéphile ?
Je vois des films mais je n’ai pas un rapport obsessionnel avec le cinéma. Je peux m’en passer très bien alors que je ne peux pas me passer de musique, j’en écoute tous les jours. En revanche, je peux rester des semaines sans voir un film.
C’est pour cette raison que la musique est très présente dans tes films ?
J’essaie de faire en sorte qu’on puisse voir mes films d’une manière assez primaire, assez sensorielle. Ce sont des films d’atmosphère, d’impression donc ça se rapproche du rapport assez direct qu’on peut avoir avec la musique. Cela ne passe pas par l’intellect. On est touché par une mélodie ou on ne l’est pas. J’aimerais que mes films soient musicaux, pas uniquement parce qu’il y a de la musique à l’intérieur. Je cherche un rythme dans lequel on puisse se sentir bien, dans lequel on puisse se lover.
Il y a souvent des concerts dans ton cinéma : dans Memory Lane ce sont les répétitions dans la cour de l’école ; dans Ce sentiment de l’été on a même droit à un concert de Mac DeMarco. La séquence était très écrite ?
Oui, cette scène de concert était écrite. C’était un moment très important dans le film, puisque c’est le moment ou y a une passation des regards. Mac DeMarco, c’était un hasard de préparation de tournage. On était guidés par une femme qui faisait du repérage à New York, qui était une amie de Mac DeMarco et passait constamment son album. Je ne connaissais pas et je me suis mis à aimer énormément. Et tout à coup, la réalité de la préparation du tournage épousait quelque chose qui existait dans le scénario. C’est très beau, ce genre de collision, ça donne beaucoup de vie au film.
En 2010, les Cahiers du cinéma ont publié un numéro intitulé “Demain ils feront le cinéma français”, avec la volonté de mettre en avant une nouvelle génération de jeunes réalisateurs en France, dont Guillaume Brac, Justine Triet… Sur la couverture, figurent plusieurs portraits dont le tien. Est-ce que tu as le sentiment d’appartenir à un groupe ?
Non, j’aimerais bien, mais non. Ça n’est pas non plus une volonté de m’extraire. C’est simplement que je connais assez peu de monde dans le milieu, je fais mes films et je prends plaisir à voir ceux des autres mais je ne pense pas appartenir à une famille, mais ça va venir…
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