Après Le marin masqué et Un monde sans femme, la belle moisson de moyens-métrages continue cette semaine, avec la sortie en salle d’un film de Vincent Macaigne, grand prix (mérité) au dernier festival de Clermont-Ferrand, Ce qu’il restera de nous. Déjà identifié comme metteur en scène de théâtre (Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, […]
Après Le marin masqué et Un monde sans femme, la belle moisson de moyens-métrages continue cette semaine, avec la sortie en salle d’un film de Vincent Macaigne, grand prix (mérité) au dernier festival de Clermont-Ferrand, Ce qu’il restera de nous. Déjà identifié comme metteur en scène de théâtre (Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, sa reprise triomphale d’Hamlet) et comme acteur (avec sa présence lunaire et son air débraillé, dans Un monde sans femme, notamment), Macaigne s’impose désormais aussi, avec brio, comme réalisateur.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Son premier film, qui dure une quarantaine de minutes, est un électrochoc. Ou, pour le dire autrement, une façon de soigner le mal par le mal : les petites mesquineries familiales, la théâtralité, l’hystérie, l’anti-bourgeoisie, tous ces lieux communs dont on a appris à se méfier à force de les voir répétés sous des formes avachies, Macaigne les reprend à la racine, un à un, pour mieux les arracher.
Le film raconte les retrouvailles, chaotiques, de deux frères que tout oppose : l’un, clodo hirsute et éructant du Nietzsche, dormant dans sa Renault 5 cramée au bord d’une rivière (Thibault Lacroix) ; l’autre, jeune cadre dynamique, marié, enchaînant les stages à L’Oréal sans plus d’espoir que celui de payer ses traites à la fin du mois (Anthony Paliotti). Tous deux, ainsi que l’épouse du second (Laure Calamy), se retrouvent aux obsèques du père, qui leur laisse pour héritage un pavillon de banlieue, un petit pactole et beaucoup d’amertume. Et d’eux, alors, que restera-t-il ?
C’est le miracle du film : de ce terreau sinistre, réussir à extraire quelque chose de céleste. Il y a la conviction, ici, que la beauté est nécessairement convulsive, qu’elle est le résultat d’une lutte jamais gagnée par avance (voir le premier gros plan sur le visage Laure Calamy en larme, sublime parce qu’on ne l’attendait plus), mais difficilement contestable. Ainsi, chez Macaigne, même la plus abjecte des situations, même la plus cruelle des répliques (« Je t’aime pas, j’aime pas ta mouille ») peut charrier son lot d’amabilité.
Avec un sens de la bouffonnerie qui fait décoller chaque réplique, le jeune cinéaste déplace ses acteurs à travers des cadres extrêmement composés et picturaux – c’est aussi un formidable paysagiste – et les fait parler jusqu’à l’épuisement. Epuisement des mots (comme chez Eustache), épuisement des corps. Ce pourrait être éreintant, c’est au contraire exaltant, tant l’acuité sociale et psychologique se joint ici à un projet formel cohérent, qu’aucun esprit de sérieux ne vient entacher. De ce film, il restera beaucoup.
Jacky Goldberg
Ce film est diffusé au MK2 Beaubourg, une à deux séances par jour.
{"type":"Banniere-Basse"}