À Téhéran, deux réalisatrices ont été incarcérées pendant une semaine pour des raisons encore floues. Ce traitement est symptomatique de la répression des artistes engagées en Iran.
Le 10 mai 2022, à Téhéran, Mina Keshavarz et Firouzeh Khosravani sont arrêtées. Leurs domiciles et lieux de travail sont perquisitionnés. Leurs téléphones et ordinateurs, confisqués. Les forces de l’ordre vont même jusqu’à se saisir des affaires de leurs proches.
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Dépossédées de tous leurs outils de travail, les réalisatrices sont inquiétées par la justice sans que des accusations concrètes ne soient invoquées. Elles ne seront pas les seules à être interpellées ce jour-là : au moins dix autres cinéastes connaîtront le même sort. Ils seront relâchés le 17 mai 2022 en fin de soirée, dans la plus haute discrétion, et écoperont d’une interdiction de quitter le territoire pendant six mois.
Pendant ces sept jours d’emprisonnement, les déclarations publiques se sont multipliées dans le monde du cinéma. Plusieurs instances locales et internationales, à l’instar du Syndicat des réalisateurs du cinéma documentaire iranien et du festival Films Femmes Méditerranée, condamnent l’arrestation arbitraire de leurs collègues. Rapidement, un collectif se monte et lance le hashtag #FreeWomenDirectors. Tous mettent en exergue le caractère politique de ces agissements. Pour le chercheur Mathieu Lericq et la réalisatrice Sahar Salahshoor, le fait de cibler deux documentaristes réputées pour leurs travaux féministes est loin d’être anodin.
Un système cadenassé par le sexisme
Enlisé dans la crise économique, l’Iran d’Ebrahim Raïssi – condamné par Washington pour sa « complicité de graves violations des droits humains – a rasséréné sa politique nataliste en 2021 en adoptant une loi restreignant l’accès à la contraception et à l’avortement. Elle s’est accompagnée d’une campagne de propagande télévisuelle sur les mérites de la procréation qui contraste avec le cinéma du réel que fabriquent Mina Keshavarz et Firouzeh Khosravani. Une véritable guerre d’images, en somme, qui se prolonge hors-champ : alors que #MeToo reprend du poil de la bête en Iran, au moins 250 femmes cinéastes ont récemment signé une pétition décriant le sexisme de l’industrie cinématographique.
« Quand les femmes cinéastes portent des revendications féministes, elles ne peuvent qu’être contre le système, mais leur pouvoir est toujours plus fragile dans un pays patriarcal dirigé à 98% par des hommes » – Sahar Salahshoor
Lors de son incursion cannoise, Saeed Roustaee (Les frères de Leïla) rappelait la difficulté de rester maître de son œuvre en Iran. La création d’un film requiert un permis et l’obtention de subventions de l’État, ainsi qu’un droit de regard sur le produit final. Passer par des instances internationales est une option, mais selon Sahar Salahshoor, la démarche risque de lever les soupçons et d’être perçue comme une menace à la sécurité nationale. Or, ce sont les films de fiction qui coûtent le plus cher, et qui sont de fait moins accessibles aux réalisatrices : « La fiction nécessite plus de budget, de préparation et de soutien, et ce sont les hommes qu’on considère comme plus professionnels. Ils sont toujours plus visibilisés, c’est la même chose dans tous les pays », explique la réalisatrice.
Dans Profession Documentariste (2013), elle donne la parole à sept réalisatrices indépendantes et souligne le paradoxe du cinéma iranien : rediriger les femmes vers un terrain propice au développement d’un propos politique en leur refusant l’accès aux grosses productions. Mais une fois ces obstacles surmontés, les difficultés continuent. Si la renommée est souhaitable, elle a un prix. C’est ce que démontre l’arrestation de Mina Keshavarz et Firouzeh Khosravani.
Une attaque ciblée et calculée
En 2011, Les Inrocks consacraient déjà un premier article sur les tactiques d’intimidation du régime iranien à l’égard de ses réalisatrices. Alors que Mahmoud Ahmadinejad venait d’être réélu, l’ONG Human Right on Film observait une recrudescence des menaces, perquisitions et interpellations à l’encontre de ces dernières. Sur ce point, la politique d’Ebrahim Raïssi, le président actuel de la République islamique d’Iran, semble s’inscrire dans la lignée de son prédécesseur. Pour le chercheur Mathieu Lericq, le choix de s’en prendre à deux réalisatrices connues à l’international n’est pas fortuit, car il vise « non seulement à les intimider, mais aussi à intimider l’ensemble de la profession, et tout particulièrement les femmes qui en font partie ».
Le fait de les libérer le soir de la cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes non plus : « Ces arrestations auraient pu engendrer des prises de parole au Festival, on peut donc se demander si ce n’est pas le moyen d’éteindre l’incendie à titre préventif », déclare-t-il. Pour ce qui est des suites, le futur est encore incertain. « C’est injuste », fulmine Sahar Salahshoor. « Elles sont dans une situation transitoire et ne savent même pas de quoi elles sont vraiment accusées. Leur sort est à la merci de la situation politique, c’est ça qui est toujours inquiétant quand on travaille en Iran ».
Un appel à la mobilisation a été lancé par le collectif de soutien de Mina Keshavarz et Firouzeh Khosravani. Ses membres réclament la fin de ces pratiques discriminatoires, ainsi que le droit des cinéastes à circuler librement (notamment grâce à l’obtention de visas), elles et leurs productions. De combattre la caméra au poing, en somme, mais à armes égales.
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