Les langueurs de l’été et de l’adolescence au fin fond du Portugal, entre incendies, bals de village et un tournage de cinéma. Une splendeur.
Il y a un an que l’on a découvert à Cannes Ce cher mois d’août de Miguel Gomes, et rien pour autant ne s’est dissipé du sentiment de plénitude laissé alors par ce deuxième long métrage, qui élève son auteur au rang des plus précieux jeunes cinéastes contemporains. Voilà un film coupé en deux, improvisé et composé sur le fil de deux étés, dont la forme éblouissante, sans cesse réinventée, a pourtant les ruptures invisibles et la virtuosité discrète.
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Gomes y enregistre une chaîne d’embrasements aoûtiens. Celui de l’agreste paysage alentour, en proie à d’incessants feux de forêt. Celui d’une région au coeur du Portugal, désertifiée hors saison mais investie par la foule de ceux qui chaque année y retournent franchir l’été entre canicule et bals de village dont les hymnes traditionnels, romances goguettes et tragédies sucrées rythment le récit. Celui finalement d’un incestueux trio amoureux, un père célibataire trop inconsolable et deux superbes ados dont l’irruption des émois gourds transfigure le film à mi-chemin.
A l’amont de cette mue, il y a le cheminement documentaire de la caméra légère de Gomes, de places de villages en bals, de microfictions de comptoir en chasses au sanglier à la lueur des phares, de paysans en rois du karaoké – portraits dont le pittoresque délicat ne revêt jamais l’apprêt de la carte postale. D’une scène à l’autre s’écoule un climat d’épiphanie au traînant rêveur, où le gag se fait jour avec discrétion, dans les replis de la contemplation. Il s’agit d’épouser les langueurs d’août, d’en saisir la vibration et la vitesse. On croit comprendre peu à peu que le film, c’est cela, ce territoire versifié par la ronde amusée des jeux, fanfares, incendies, concerts et légendes de piliers de bar. Mais en creux du flot tranquille du docu saisonnier s’informe une coulée de fiction, la palpitation d’un récit. Et à mesure que s’y déplacent les silhouettes de la première partie, celles-ci se font soudain personnages d’un mélodrame de fête foraine.
La part la plus fictionnelle du récit réside toutefois ailleurs. Ici et là surgissent quelques scènes au parfum de farce, où Gomes se met en scène en réalisateur borné de cinéma direct, louvoyant avec ses producteurs, excédés qu’il n’en fasse qu’à sa tête avec le scénario. Dans l’histoire de la postmodernité cinématographique, les fictions (de Wenders – L’Etat des choses, justement au Portugal – à Suwa – H Story) qui embrassaient ainsi avec force effets de réel les errances de leur propre tournage suintaient le plus souvent une morne idéologie de la mort du cinéma. Ici, comme par un effet de solarisation, le procédé enlumine pourtant l’un des films de ces dernières années qui, du cinéma, paraît marteler le plus puissamment la vitalité. Sa splendeur, une force à creuser les enjeux les plus contemporains, en toute tranquillité. Comme par inadvertance.
Le mélodrame clos dans un éclat de rire mêlé de larmes, le film s’achève sur une séquence tout à la fois très belle et très drôle, où Gomes se chamaille avec l’ingénieur du son qui, plutôt que d’enregistrer les scènes dans leur réalité nue et informe, s’acharne à en saisir des bruissements qu’il serait le seul à entendre, et qui de l’avis du réalisateur n’existeraient pas. Revêtir ainsi le masque réactionnaire d’un cinéaste du réel sans imaginaire pour, en un ultime instant, mieux célébrer le cinéma comme agent de réinvention du monde, voilà l’ultime tour facétieux inventé par Gomes – et quelle plus gracieuse façon de signer à pas feutrés sa sortie ?
CE CHER MOIS D’AOÛT de Miguel Gomes, avec Sonia Bandeira, Fabio Oliveira, Joaquim Carvalho (Port., 2008, 2h30).
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