François Truffaut écrivait d’elle qu’elle n’est pas une fleur mais un vase. François Ozon en fait désormais sa Potiche. De ses souvenirs, ses réflexions sur le cinéma et le monde d’aujourd’hui, Catherine Deneuve nous offre un bouquet.
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André Téchiné n’a pas ce rapport-là avec vous.
Non, pas du tout. André me voit comme une personne avant de me voir comme une actrice ou comme une image de cinéma. Parce qu’il y a un fil tendu entre nous depuis près de trente ans, qu’on se retrouve souvent.
Dans quelques jours vous tournez Les Bien- Aimés, un film musical de Christophe Honoré. Vous avez pensé à Demy en acceptant ce projet ?
J’y pensais déjà en voyant Les Chansons d’amour, que j’aime énormément. Christophe Honoré est vraiment un cinéaste d’acteurs. Evidemment, il a envie de raconter des histoires mais pour lui ça passe par certains corps, certaines personnes avec qui il a envie de partager quelque chose. Avec d’autres cinéastes, c’est le contraire. L’acteur doit s’ajuster à la vision du cinéaste.
Vous pensez à qui ?
A Alain Corneau par exemple. Dans Le Choix des armes, il nous demandait vraiment d’être au service de son histoire, de ses personnages. Dans un autre genre, Manoel de Oliveira a aussi un univers en tête et on doit y trouver sa place. Je me souviens qu’à l’époque du Couvent, il avait renoncé à bouger la caméra. Il ne faisait plus aucun travelling, ne tournait plus qu’en plans fixes. C’était aux acteurs de se déplacer vers la caméra pour passer d’un plan d’ensemble à un gros plan. Ça me paraissait terriblement artificiel. Mais je m’y suis pliée. Il est très autoritaire, Oliveira, mais j’ai fini par aimer entrer dans sa méthode, son univers…
L’autorité, ça vous agresse ?
Ça dépend. C’est rassurant aussi. J’aime les gens dont on sent la force. Le problème de l’autoritarisme, c’est que c’est souvent l’arme de ceux qui ne pourraient pas obtenir ce qu’ils veulent autrement qu’en élevant la voix, en s’énervant, en utilisant leur position…
Vous-même, vous utilisez votre autorité sur les tournages ?
Ça a dû m’arriver, oui. Parfois quand j’avais l’impression qu’on s’embarquait dans une direction un peu trop vague, qu’on était en train de se planter… Mais il faut avoir de l’expérience pour se risquer à provoquer des situations de crise, je n’ai pas toujours été comme ça. Si j’ai pu le faire, c’est en pensant au résultat final, pas du tout par goût de l’exercice du pouvoir ou des situations de force.
Sinon, je suis une actrice, j’aime être dirigée. La fermeté ne me dérange pas. Inversement, le désarroi non plus. J’aime bien aussi certains cinéastes qui savent qu’il faut refaire une scène mais ne savent pas tout de suite comment, qui tentent, tâtonnent. Ça ne m’angoisse pas du tout : un plateau de tournage est quand même le meilleur endroit pour chercher.
Etes-vous allée voir l’exposition Brune/ Blonde à la Cinémathèque française ?
A cause de la sortie de Potiche, je n’ai pas encore trouvé le temps. Comme pour l’exposition Larry Clark. Ce sont les deux événements que j’ai le plus envie de voir à Paris en ce moment.
Est-ce que la blondeur constitue plus une actrice que le fait d’être brune ?
Non, je ne crois pas. Etre une actrice brune induit aussi quelque chose. Ava Gardner, je pense à elle comme à une brune. Ça la constitue. Pour les blondes, ce qui est complexe, c’est que la plupart des actrices blondes ne sont pas des femmes blondes au départ. C’est une identité qu’elles ont choisie. La blondeur est souvent quelque chose de construit.
Marilyn n’était pas blonde, Jean Harlow si, mais à l’écran elle est devenue platine. Et je crois qu’elle a vécu un enfer parce que les produits à l’époque étaient très agressifs, on la décolorait deux fois par semaine, ça lui donnait des migraines épouvantables… On m’a beaucoup dit que mes cheveux avaient compté dans mon travail. Je sais même que parfois c’était trop.
Téchiné, par exemple, a souvent essayé de dissimuler mes cheveux, de les attacher, de les foncer. François Truffaut aussi a voulu dégager mon visage de mes cheveux. Je pense que leur référence commune était Bergman, qui est sûrement le cinéaste qui a le plus dépouillé le visage des actrices de cette espèce de trompe-l’oeil, de masque qu’est la chevelure.
Même s’il est moins mythique que Belle de jour ou Les Parapluies de Cherbourg, pour moi, La Chamade d’Alain Cavalier vous a donné un de vos plus beaux rôles.
Ah, c’est un film que j’aime énormément… Au départ, c’était un roman de Françoise Sagan. Le scénario, à la lecture, était déjà très bien. Le film perce vraiment l’apparente frivolité propre à l’univers de Sagan, c’est un film très cruel. Il n’a pas été facile à faire car le tournage a eu lieu en mai 1968. C’était la grève générale, le tournage a été interrompu.
Il n’y avait plus d’essence, je me déplaçais à Paris avec un vélo que m’avait prêté ma mère… J’étais vraiment jeune à l’époque et en même temps j’étais très adulte, je travaillais depuis longtemps, j’avais un enfant. Je n’ai pas du tout vécu Mai 68 en direct comme quelque chose qui allait desserrer le climat général en France sur les moeurs, le mode de vie. Je ne me sentais pas du côté des jeunes qui manifestaient boulevard Saint-Michel. Plus égoïstement, j’étais inquiète. C’est ensuite que j’ai pu mesurer ce que ça avait changé.
Et Alain Cavalier, vous avez continué à suivre son parcours, Thérèse, La Rencontre, Irène ?
Un parcours incroyable ! Il n’y a pas d’autres metteurs en scène qui se sont autant déplacés que lui et en même temps je crois qu’il est resté lui-même. Il est arrivé à cet ascétisme parce que ça découlait naturellement d’une recherche intérieure, pas du tout pour être à l’avant-garde, pas non plus parce qu’il serait en révolte contre le système…
Son cinéma obéit seulement à une nécessité très profonde. La Chamade était déjà un film très personnel mais je n’aurais jamais imaginé qu’il irait ensuite vers un travail aussi solitaire et insolite. On le sent tellement heureux, en plus ! Comme s’il s’était débarrassé de toutes les choses inutiles et qu’il ne restait plus que ce qui lui plaît vraiment : lui, la caméra, ce qu’il veut raconter, le coeur des choses. Il ne fait des films que lorsqu’il est inspiré. D’une certaine façon, on ne peut que l’envier. D’autant plus qu’il n’y a pas d’amertume chez lui, il n’a pas été obligé d’aller dans cette direction, c’est absolument un choix.
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