C’est un mystère, c’est un miracle, c’est une histoire d’amour. Casablanca prête généreusement le flanc à toutes les critiques, on ne l’en chérit que davantage. Peu de films ont été autant parodiés (de Woody Allen à Robert Coover), aucun avec plus de tendresse. Improvisé au gré des aléas de production et de casting, boursouflé d’impossibles […]
C’est un mystère, c’est un miracle, c’est une histoire d’amour. Casablanca prête généreusement le flanc à toutes les critiques, on ne l’en chérit que davantage. Peu de films ont été autant parodiés (de Woody Allen à Robert Coover), aucun avec plus de tendresse. Improvisé au gré des aléas de production et de casting, boursouflé d’impossibles dialogues, le scénario accumule les handicaps et découvre les vertus de l’excès. Si cet objet impossible s’attire la passion des cinéphiles comme du grand public, c’est peut-être parce qu’il représente Hollywood à l’état pur, le triomphe anonyme d’une machine à fictions avec d’autant plus d’éclat paradoxal que l’usine à rêves se nourrit ici du réel brûlant d’une guerre en cours, à l’issue incertaine. Le film tire sa force (cf. Umberto Eco) de sa combinaison d’éléments hétéroclites, comme si ses défauts s’annulaient mutuellement. Prises isolément, bien des séquences confinent au ridicule, et le résultat est bouleversant, sans qu’on sache trop à qui en rendre grâce ; les outrances du détail affleurent par à-coups, mais toujours domptées par la forme classique d’un ensemble qui, contre toute attente, parvient à demeurer fluide, voire homogène. Cet art de constituer un tout à partir du divers, c’est la beauté d’Hollywood, mais la leçon excède ici sa seule portée esthétique : auberge espagnole, le film, comme le bar de Rick, est le dernier refuge d’un cosmopolitisme menacé. Dominique Sipière remarquait que de tous les participants au film, seuls Bogart et Dooley Wilson (Sam) étaient américains de naissance. C’est grâce à ce choeur qu’on entend dans Casablanca la seule Marseillaise qui nous ait jamais tiré des larmes.
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Et puis il y a Bogart, l’éthique en action. Rick est peut-être le meilleur personnage hemingwayen qu’ait créé le cinéma américain : stoïque et élégiaque, engagé désabusé, on est toujours tenté de remplir les blancs de son passé d’aventurier antifasciste brisé par l’amour. Le plaisir du spectateur vient évidemment des contradictions du personnage et des fluctuations de l’acteur, entre dignité blessée et auto-apitoiement. Tantôt il repousse les effusions du barman, tantôt il s’épanche avec bouteille et piano. Et dans le flash-back parisien, son sourire traduit comme jamais la pure joie de l’instant, alors même que les transparences trahissent le rêve inaccessible.
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