A travers les yeux d’un adolescent, une exploration de la cohabitation entre riches Blancs et Noirs pauvres dans la société brésilienne.
Premier long métrage de fiction de Fellipe Barbosa, Casa Grande arrive chez nous comme le ressac d’un autre film brésilien qui avait fait grand bruit l’an passé (c’est le cas de le dire) : Les Bruits de Recife, dont le réalisateur Kleber Mendonça Filho a cru bon de parrainer ce rejeton en l’accompagnant de quelques paroles bienveillantes. Casa Grande, lui, ne se déroule pas à Recife mais dans la périphérie de Rio, où d’opulentes demeures abritent les riches Blancs (qui y vivent) et les Noirs des quartiers populaires (qui y travaillent).
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Jean a 17 ans et est issu de cette bourgeoisie. Il porte un prénom à la française que sa gouvernante peine à prononcer, visite secrètement la nuit Rita, une jeune employée de maison qui se joue de lui et repousse ses avances et, surtout, soupçonne son père de cacher, sous des apparences de richesse, une situation financière devenue catastrophique.
Inégalités de richesse mais proximité au quotidien
S’il y a lieu de voir une famille naissante de cinéma dans l’événement que forment les sorties, à une année d’intervalle, des Bruits de Recife et de Casa Grande, c’est que les deux films ont mis la même question au centre du nouveau cinéma brésilien : celle du voisinage (Recife a d’ailleurs pour titre original Neighboring Sounds). D’abord à travers ce motif de la mégalopole littorale qui se déploie, non pas à plat mais en relief, sur les flancs de côtes raides, obliques, confondant l’horizontal et le vertical, comme si l’on s’amusait à plisser une carte dans tous les sens pour faire ainsi se toucher des parties éloignées du plan. Ensuite, à travers la coexistence de toutes les couches de la société brésilienne, séparées par de profondes inégalités de richesse mais amenées au quotidien à se jouxter, à partager si régulièrement les mêmes lieux que la fracture en deviendrait presque comique, artificielle.
A l’intérieur de la maison, cela devient du Feydeau, un va-et-vient de patrons et de serviteurs qui évoque parfois la farce, avec la fille du maître de maison qui fait les poches, la gouvernante très pieuse qui trouve des capotes dans les poubelles, etc. Et vers l’extérieur, cette cohabitation théâtrale des riches et des pauvres se poursuit, avec ces malfrats clownesques qui font sonner au hasard le téléphone des plus fortunés, en réclamant des rançons pour des enfants qu’ils n’ont pas kidnappés (et dont ils ignorent même s’ils existent).
Une « grande maison » qui peut être Rio
Tout cela, évidemment, n’est qu’une question de corps dans des espaces, et c’est pour ça qu’on ne se lasse à vrai dire pas de voir le cinéma provoquer ces mises en boîte, ces petits cubes de vie commune, comme ce plan nocturne de Jean dans la chambre de bonne de Rita, qui revient régulièrement dans le film et n’est jamais gâché par un changement d’axe, toujours regardé comme depuis l’écran de la télé.
La “casa grande”, c’est bien sûr la somptueuse villa où vivent Jean et sa famille, mais c’est peut-être plus largement Rio dans son ensemble, vu la façon dont Barbosa découpe tout l’espace et la circulation des corps sur le modèle d’une maison de poupées, où l’on soupçonne même, lorsqu’il pratique le montage alterné, qu’il ait résisté à l’envie de faire carrément du split screen, et de laisser les deux ou trois séquences concomitantes s’empiler les unes sur les autres à l’intérieur de l’écran.
Le signe d’un renouveau du cinéma brésilien
Mais la colonne vertébrale de Casa Grande, c’est avant tout un mouvement d’introspection bourgeoise, où l’on sent que Barbosa – qui a lui-même grandi dans ces couches aisées de la société, s’est inspiré d’une faillite économique que son père avait également tenté de lui dissimuler, et tourne même dans sa propre maison de famille – va à confesse, fait carburer son film aux souvenirs d’adolescence, et qu’il aurait peut-être même dû se protéger un peu moins par moment.
Le film manque parfois d’une brutalité sociale que le réalisateur a peut-être voulu adoucir, ou du moins éloigner de cette autobiographie détournée. Il n’en reste pas moins le signal supplémentaire d’un renouveau du cinéma brésilien qui a pour figure de proue une façon très particulière de fragmenter les espaces, de découper en cubes l’intérieur et l’extérieur, et d’y rebattre sans répit les cartes de l’hétérogénéité sociale.
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