Partant du même fait divers que Les Tueurs de la lune de miel, Ripstein montre un couple qui ne tient que par ses méfaits sanglants. Même en extérieurs, il filme l’enfermement. Carmin profond est l’histoire d’une fascination perverse qui, pour survivre, va devoir s’alimenter de sang. Comme les amoureux romantiques qui s’entaillent et boivent au […]
Partant du même fait divers que Les Tueurs de la lune de miel, Ripstein montre un couple qui ne tient que par ses méfaits sanglants. Même en extérieurs, il filme l’enfermement.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Carmin profond est l’histoire d’une fascination perverse qui, pour survivre, va devoir s’alimenter de sang. Comme les amoureux romantiques qui s’entaillent et boivent au poignet l’un de l’autre, Coral et Nico vont sceller leur union par le sang de leurs victimes. Tirés d’un fait divers réel, ils n’ont pourtant rien de héros romantiques à la Bonnie et Clyde. Ce sont des personnages tourmentés et grotesques, qui vont se révéler d’une férocité opiniâtre. Tous deux sont torturés par une tare physique : Coral est grosse à la Botero et Nico a une calvitie qu’il tente de masquer avec une mini-perruque en cheveux naturels. Deux handicaps qui leur renvoient une image d’eux-mêmes ridicule, monstrueuse et humiliante. C’est par le biais des petites annonces qu’ils entrent en contact. Infirmière et mère de deux enfants, Coral fantasme sur les photos de l’acteur français Charles Boyer. Pour adoucir ses frustrations, elle se gave de sucreries et force toutes les mains qui passent à sa portée à des attouchements sur ce corps ventru et vorace qui la martyrise. Ce corps qui envahit tout, elle va l’imposer à Nico. Très vite elle découvre qu’il n’est qu’un truand minable, qu’il a assassiné sa femme pour toucher l’assurance et qu’il exploite la solitude des femmes en les séduisant afin de mieux les dépouiller de leurs rentes. Qu’importe : pour elle, il est le sosie de Charles Boyer, elle a enfin rejoint son rêve. En s’emparant d’un de ses secrets, elle a créé leur premier lien, indéfectible. Et puisque sa progéniture devient un paquet encombrant dans ses nouveaux projets, elle n’hésite pas et l’abandonne.
Car dans la logique de Ripstein, on sacrifie toujours ce que l’on a de plus cher, on lamine ce qui nous est proche, inexorablement. D’une part, parce que la famille est le terreau inépuisable de toutes les souffrances et transgressions, qu’elle impose un déterminisme auquel on n’échappe pas ; d’autre part, parce que les personnages de Ripstein, même anéantis, sont prêts à tout pour sauver leur peau. Carmin profond procède par retraits successifs : chaque nouveau cadavre est un pas vers l’autre et vers soi et chaque mutilation affective, chaque corps supprimé alourdit leur secret et resserre leur intimité. Dès lors, ce travail de mort est irréductible car il valide leur amour, même s’il aboutit, ils le savent, à leur propre mort.
C’est par jalousie que Coral commettra son premier meurtre. C’est d’ailleurs elle qui agit, choisit les victimes et les supprime avant que Nico ne les touche trop avant. En proie à d’affreuses céphalées et obsédé par sa moumoute, celui-ci obéit et joue son rôle de séducteur ringard pour femmes délaissées. Ils se présentent à chaque nouvelle victime comme frère et sœur, l’inceste n’étant jamais loin chez Ripstein. L’attirance qu’ils ressentent l’un envers l’autre s’intensifie et change de nature : la fascination pour la « monstruosité » physique de l’autre devient une fascination pour la « monstruosité » des actes qu’ils commettent.
La caméra, un peu trop statique dans une première partie plutôt figée, suit les deux tueurs pas à pas dans cette quête sanguinaire absurde, s’avance et se recule comme pour ne pas les gêner dans leur travail, de plus en plus sordide et infâme. L’impossibilité d’échapper à son destin se jouera encore dans la dernière partie, avec l’apparition d’une jeune femme séduisante. Une trouée s’effectue alors dans le couple meurtrier, Nico éloigne Coral et s’amuse au chat et à la souris avec la belle veuve. Mais dès qu’il sent l’image de la famille en train de se refermer sur lui, il ne peut le supporter et appelle Coral au secours. Ce dernier meurtre sera le plus sauvage, incluant une scène d’avortement dont Ripstein est friand qui a vu La Femme du port ne regardera plus jamais un cintre de la même façon. Il se déroulera sous les yeux de la petite fille qui n’en réchappera pas non plus. C’est après cet ultime assassinat qu’ils décideront de leur propre arrêt de mort en prévenant la police, qu’ils attendront sagement assis sur un banc de la maison serrés l’un contre l’autre, déjà dans l’autre monde. La dernière volonté de Nico sera de conserver son postiche, pour ne pas être ridicule, avant de s’échouer avec Coral sur une petite mare, les corps côte à côte, comme déposés sur leurs propres reflets, seule image calme et sereine du film.
{"type":"Banniere-Basse"}