Dans un film-boum, rythmé par les chants sublimes de la northern soul, Sandrine Rinaldi déplace les meubles du cinéma français. Electrisant.
Qui a dit que l’on ne dansait plus dans le cinéma français ? Que la comédie musicale était morte ? Qu’un film ne se faisait plus que sur la base d’un scénario mathématique (A + B = C) ?
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Peut-être ceux, nombreux, qui ont manqué en 2007 la révélation Cap Nord, le second film de l’ancienne critique Sandrine Rinaldi (après le déjà très beau Mystification ou l’Histoire des portraits), un musical précieux et entêtant aperçu dans le circuit des festivals, puis brusquement disparu des radars.
L’injustice réparée, le voilà donc distribué en salle en même temps qu’en DVD (assorti d’un album consignant son excellente BO), où l’on pourra vérifier que le film n’a rien perdu de sa grâce fragile ni de son pouvoir magnétique.
Tourné à toute vitesse avec la complicité de quelques amis, dans un unique décor d’appartement, Cap Nord fait le récit d’une seule soirée : une nuit de fête, de danse et de rencontres fuyantes dont Sandrine Rinaldi enregistre aléatoirement les échos et pulsations secrètes.
C’est le portrait fragmentaire d’un groupe de fêtards anonymes autour desquels la caméra papillonne sans point fixe, captant des bribes de conversations ou élaborant des embryons de fictions qu’elle abandonne aussitôt pour mieux repartir dans sa nébuleuse noctambule.
Rien ici ne fait sens : on y parle d’amour, de repentance et de poésie ; on y récite Dickens et Balzac (le temps d’une apparition de la cinéaste Marie-Claude Treilhou, qui signe l’influence de la génération Diagonale, du nom de la société de production de Paul Vecchiali dans les années 70/80) ; on devise sur la mort et l’alignement des planètes.
Mais l’essentiel n’est pas dans ce petit théâtre verbeux ni dans ces dispositifs un peu arides, il tient plutôt dans les chansons de la northern soul qui perlent le film de part en part et gouvernent son rythme langoureux.
Melvin Davis, The Temptations, Maxine Brown… Sandrine Rinaldi enchaîne les morceaux tous sublimes de ces groupes des sixties qui chantaient l’ivresse amoureuse et le désespoir, l’allégresse et la mélancolie.
Cap Nord puise sa beauté mystérieuse à la source même de cette musique, dont il ne fait pas un simple objet décoratif mais plutôt un enjeu de mise en scène et d’écriture : chaque chanson interagit directement avec les personnages qui s’approprient les paroles ou se lancent ensemble dans des chorégraphies harmonieuses.
La musique, utilisée ici comme une forme de langage (à l’instar de Mods de Serge Bozon ou L’Epée et la Rose de João Nicolau), reconfigure le monde à son rythme et brouille nos perceptions.
L’effet, saisissant, culmine dans une dernière séquence mémorable où, la nuit et la fête agonisantes, un personnage retourne à sa condition d’ouvrier du jour, de petit employé sans illusion.
Cap Nord retrouve à ce moment précis la morale de la northern soul telle que la pratiquait à l’époque les misfits prolos des clubs britanniques. Lorsque le chagrin, l’ennui et la misère recouvrent tout, il ne reste plus qu’une seule chose à faire : attendre l’obscurité, et danser.
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