Après quelques jours d’ennui poli, c’est enfin le grand plongeon.
Que devient la nuit cannoise ? L’ombre de l’ombre de sa légende, à voir certaines fêtes de plage où le festivalier, dans les premiers jours, a cru s’être trompé de train, débarquant non pas dans la dionysiaque VIP de ses souvenirs, mais dans une espèce de congrès Unifrance peuplé de clones quadragénaires blanchâtres à chemises azur, beuglant “jump around” à qui mieux-mieux, vidant les bières tièdes qui ont remplacé le champagne. Ou carrément sur Terre 2, les DJ des sables s’étant apparemment passé le mot pour marteler comme si c’était un vrai tube planétaire une étrange reprise tristoune de What’s up des 4 Non Blondes, qui me fait plus l’effet d’un 15h42 à Bricomarché que d’un 00h56 sur la Croisette – et que je ne parviens même pas à retrouver sur YouTube. D’où ça sort ? Et surtout qui a bien pu nous enfermer dans ce mauvais film de Ruben Östlund ?
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On s’en échappe au Vertigo, où la Queer Palm de Franck Finance-Madureira a repris la concession après une triste année 2021 sans drag shows (plus jamais ça, pitié). Accompagné de l’acteur le plus demandé du festival, Yal des Cahiers (il joue un porte-flingues à l’arrière-plan du Parfum vert, et il paraît qu’on voit son livre dans une scène de librairie du Mouret), je rentre évidemment facilement, puis tombe par hasard sur les débats houleux du jury de l’Œil d’or, le prix du meilleur documentaire : “Il y a un truc en Quinzaine qui apparemment est intégralement en endoscopie/Attends, l’endoscopie c’est par le cul, c’est ça ?!/Non, ça c’est la sodomie, tu confonds tout le temps…” L’auteur de ce malentendu me réclame non seulement l’anonymat, et veut même que je dise que c’est Laurent Lafitte. Il s’est cru où ?
Chemise
On s’en échappe aussi et surtout à la première grande fête de l’année, donnée par les Films du Losange à la Villa, comme une ultime citadelle du Cannes d’antan. L’équipe d’El Agua est là, ce qui tombe bien parce qu’il y a une piscine, mais aussi parce que c’est plus prometteur pour la musique, évidemment. Sur le dancefloor, le film ressuscite comme par magie : une nuée d’ados ondulent sur un reggaeton pointu qui, chaque fois que je me retourne, a eu raison d’un nouveau bouton de la chemise de Philippe Azoury.
Comme dans le film aussi, l’eau nous appelle : mon padawan Simon insiste comme un enfant hyperactif pour que je m’occupe de lui apprendre à nager (“t’avais promis !”). Pas encore tout à fait remis de ma grippe post-ablution dans la même piscine lors de la soirée Diamantino de 2018, je la lui joue passage de relais, un peu solennellement : “Tu peux le faire seul, ton tour est venu.” Cinq minutes plus tard, une ola acclame son plongeon ; encore cinq de plus, et le reggaeton ayant fini son boulot, Philippe le rejoint, bientôt accompagné par toute l’équipe du film, puis celle des Inrocks, puis une partie du voisinage, quelques blanchâtres à chemise azur, Vincent Lindon et je crois Gilles Jacob. Depuis la margelle, histoire d’en rajouter, je verserais presque une larme. Le festival déborde enfin.
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