Journal déprimé d’un de nos envoyés spéciaux au festival de Cannes. Cinquième jour.
Les années précédentes, j’ai évité au maximum les projos de 8 h 30, usant de tous les subterfuges possibles et imaginables. Cette année, je me les tape systématiquement, et je suis bien mal récompensé de mon sérieux : même le film des Coen s’avère décevant. Je me suis réveillé dans un tel état que je n’ai mis qu’une lentille sur deux, je vois donc le film d’un seul œil et le bon, One Eye Wide Shut. Mais ceux qui l’ont vu des deux confirment mon impression relativement négative. Je me traîne jusqu’à l’Adosom mettre la seconde lentille, ça va tout de suite mieux. Sur le chemin, je croise Mulet, il a l’air au plus mal. Avec Kagan, on profite d’un creux trop rare pour visiter enfin la Fnac. J’achète le dernier Françoise Hardy. Un vendeur badgé Noureddine nous demande si on est bien Kaganski-Bonnaud. Guère habitués à être reconnus et branchés par des fans, on dit que oui, qu’on croit bien que c’est encore nous, malgré tout. On discute un moment, c’est un lecteur vorace, il n’arrive pas à avoir de places pour les projos, on ne peut pas s’empêcher de lui dire que pour l’instant il n’a pas raté grand-chose. Je me promets de lui apporter le prochain numéro avant parution. En sortant, Kagan a cette phrase définitive : « C’est réconfortant, quand même… » J’en conviens dans un soupir. On va bouffer à l’italien très cher et très bon que m’avait fait découvrir Aldo T. avant qu’il nous traite de brigadistes sanguinaires. On tombe sur Blum’, il dit du mal de tout le monde et on parle foot, c’est plus prudent.
Succession de projos. Entre deux navets pathétiques, je retrouve Flavio V. qui prépare une intégrale Demy dans sa bonne ville de Bergame, puis Irène, ma petite s’ur, envoyée spéciale de Vacarme, un peu paumée mais munie d’une accrédit’ « Rose point jaune » temporaire. Non, mais je rêve, là. Elle me suit en projos, et on ne fait qu’entrer et sortir. A Venise, Garnier m’avait d’ailleurs surnommé « In and Out« . Je sais que ça la fout mal mais voir trop longtemps de trop mauvais films est catastrophique pour mon moral fragile. Eloge de la fuite, donc.
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On passe au nouveau bar de Maurice chez les gaziers. J’embrasse plein de copains, dont Martine Marignac qui m’annonce que Rivette devrait tourner cet été, voilà une bonne nouvelle. Mulet et ses potes me racontent leurs exploits de la veille, avec les flics et tout, c’est du propre…
Projection du Liv Ullmann, toujours avec Irène, la famille Bonnaud tient une petite heure avant d’aller boire des pastis à La Voile au vent, un rade de Mulet. Puis dîner avec JFR, Kagan, toujours Irène que je materne honteusement, et les Italiens : Stefano (le directeur de Turin), Roberto (multicartes et maître d’ uvre d’une prochaine rétrospective Oliveira) et Enrico G. (star de la RAI3). On rit beaucoup et on se débrouille pour être d’accord sur rien. Je leur dis que c’est typique d’un repas de cinéphiles, et que c’est toute la beauté de la chose. Roberto me rétorque que non, la beauté et l’intérêt de la chose, c’est de ne même pas être d’accord avec soi-même. Là, il marque un point…
Marseille reste en D1. Pour fêter ça, je liquide voracement un paquet de boules de gomme et m’endors vers trois heures. Je dors peu mais vraiment très bien, avant que la tête touche l’oreiller.
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