On n’attendait rien de la distribution des prix. Du coup, on en a apprécié les bonnes surprises.
L’édition 2015 laissera un souvenir contrasté et paradoxal. Celui d’un assez bon Festival, avec pas moins d’une quinzaine de films qui nous sont chers – toutes sections confondues. Mais celui, aussi, d’un Festival en pleine tectonique des plaques, où le sol ancestralement le plus fertile en grands films, celui de la compétition, a de jour en jour glissé sous les pieds de festivaliers hébêtés devant des films majoritairement décevants. Décevant de voir un cinéaste aussi immense que Gus Van Sant réaliser un The Sea of Trees aussi inepte. Décevant que les meilleurs cinéastes du monde présentent des œuvres plutôt en deçà de nos attentes. Décevant que des films aussi franchement mauvais que Mon roi ou Youth figurent dans la vitrine censément la plus représentative de ce qu’est l’art du cinéma dans le monde aujourd’hui. Du coup, il était possible pour nous d’établir un palmarès de nos films préférés sans que n’y figurent aucun film de la compétition officielle (Palme d’or : Cemetery of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul ; Grand Prix : Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin ; prix de la mise en scène : George Miller pour Mad Max– Fury Road ; prix du jury : Les Mille et Une Nuits de Miguel Gomes…).
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Dans la mesure où la compétition n’était pas l’endroit le plus électrique du Festival, on n’attendait pas grand-chose du palmarès. Mais dans ce contexte d’attente faible, le palmarès du jury présidé par les Coen est aussi contrasté et paradoxal que ce Festival. Faut-il saluer le tranchant d’un tel parti pris ou en regretter l’injustice ? En tout cas, le film le plus consensuel a été mis au ban du palmarès : avec Mia madre, Nanni Moretti n’a ni réussi à doubler sa Palme de La Chambre du fils, ni même à se faufiler dans le tableau d’honneur. On se réjouit en revanche que figure parmi la missing list le Youth de Paolo Sorrentino, dont l’agressif racolage n’a manifestement pas retourné les sens du jury.
Pour ce qui est du panel des primés, certains choix paraissent assez peu discutables, comme le prix d’interprétation masculine accordé à Vincent Lindon pour La Loi du marché. La performance est à la fois une des meilleures de sa carrière, elle s’ajuste parfaitement avec celle des acteurs non professionnels qui lui donnent la réplique et en plus l’acteur a fait sur scène le discours le plus sensible et le plus habité. On reste plus dubitatif sur le prix d’interprétation féminine attribué à Emmanuelle Bercot – à la fois parce qu’il permet à un film vraiment pas bon de se frayer une place au palmarès, ensuite parce que la prestation de la comédienne pâtit quand même de la faiblesse d’écriture de son personnage. Pour achever de rendre ce prix complètement saugrenu, Emmanuelle Bercot le partage avec Rooney Mara pour Carol, où elle est effectivement remarquable, mais pas plus que Cate Blanchett, qui porte absolument le film et avec qui il aurait été mieux inspiré de le partager.
Hou Hsiao-hsien, l’un des plus grands metteurs en scène mondiaux
Le seul motif de joie absolue de ce palmarès est pour nous le prix de la mise en scène accordé à Hou Hsiao-hsien pour The Assassin. A la fois parce qu’il récompense un des (le ?) plus grands metteurs en scène mondiaux, souvent boudé à Cannes (y compris pour des chefs-d’œuvre comme Goodbye South, Goodbye ou Les Fleurs de Shanghai – seul prix notable, le prix du jury au Maître des marionnettes en 1993). Mais aussi parce qu’il paraît parfaitement taillé pour le film, qui n’est pas un des plus grands de son auteur mais s’impose néanmoins comme un geste total de mise en scène, un exercice de haute couture formaliste assez sidérant.
Pour ce qui est du Grand Prix, il récompense un film très discutable mais indiscutablement très abouti, Le Fils de Saul de László Nemes, maîtrisé de bout en bout, et très contemporain dans les questions de représentation qu’il jette comme de l’huile sur le feu. Quant à lui donner une haute distinction, la Palme aurait sans doute été un acte plus fort, plus audacieux, et surtout plus pertinent que de l’attribuer au Dheepan de Jacques Audiard (lauréat du Grand Prix pour Un prophète en 2009), qui comporte pas mal de défauts propres à l’œuvre de son auteur (coups de force scénaristiques à l’épate, bascule artificielle dans le cinéma de genre, virilisme naïf…) sans en avoir toutes les qualités (efficacité, nervosité narrative…).
La Palme à Audiard et les prix d’interprétation féminine et masculine à des comédiens français donnent en tout cas une validation internationale à une sélection française qui fut très critiquée. On notera aussi que la France, qui longtemps ne se contentait d’une Palme que tous les vingt et un ans (Un homme et une femme en 1966, Sous le soleil de Satan en 1987, Entre les murs en 2008) performe désormais de façon quasi annuelle : pas moins de quatre films français palmés en sept ans (Entre les murs, Amour, La Vie d’Adèle et désormais Dheepan). Plus que jamais, on relativisera l’importance de ces accessits et tableaux d’honneur, les plus beaux films n’y concouraient pas, on les retrouve en majesté sur le site premium.
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