Deux grands cinéastes en compétition, Jia Zhangke et Miguel Gomes, expérimentent un vieux rêve godardien : filmer d’abord, écrire un scénario ensuite. De quoi inspirer leur relève, comme la très talentueuse Payal Kapadia.
Caught by the Tides, le nouveau film de Jia Zhangke, est né des images. Suivez-moi. Depuis vingt, vingt-cinq ans, le cinéaste chinois (Still Life, A Touch of Sin, etc.) quand il se déplace, voyage, filme ce qu’il voit avec une petite caméra numérique. Un peu comme s’il prenait des notes. Parfois, m’a-t-il expliqué, il fait entrer dans le plan, son épouse et actrice fétiche, la fantastique Zhao Tao. Jia n’avait jamais regardé ces images, qu’il gardait néanmoins.
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Et puis, pendant le confinement dû à la pandémie de Covid, parce qu’il ne pouvait pas faire grand-chose, il a regardé ses rushes d’images documentaires – dont on notera qu’elles deviennent miraculeusement fiction, comme par transsubstantiation dès qu’une actrice s’y glisse (remember Ingrid Bergman chez Rossellini). Jia a commencé à les monter, et ainsi est né Caught by the Tides, avant même tout scénario, toute “histoire”, qui, elle, est née du montage.
Images documentaires
Miguel Gomes (Tabou, Les Mille et Une Nuits, etc.), lui, avant même d’écrire quoi que ce soit, a eu une idée : avec l’accord de sa nouvelle productrice (il ne tarit pas d’éloges sur elle), parcourir plusieurs pays d’Asie (la Thaïlande, le Japon, la Chine…) avec certain·es de ses collaborateur·rices, et y prendre des images sous forme de banque de données, “d’archives” qu’il a, lui aussi, montées en revenant dans son pays, le Portugal. Puis il a écrit un scénario avec ses scénaristes, inspiré par le souvenir de ce voyage et à partir de ces images documentaires. Là aussi, le scénario est né des images, et non l’inverse, comme il est encore de tradition dans la plupart des cinématographies. Alors seulement, il a tourné la partie fiction, entièrement en studio. Et l’a mixée avec ses stocks documentaires. En résulte un geste très original et un film, Grand Tour, qui ne l’est pas moins. L’action du film est censée se dérouler en 1918, les habitant·es de ces pays portent des tee-shirts et font de la moto ? Peu importe, le·la spectateur·rice n’y prête même pas attention, parce qu’ils ont signé un pacte de confiance avec l’artiste : si on lui dit que c’est 1918, c’est 1918.
J’interviewais hier la jeune cinéaste indienne Payal Kapadia, dont le premier et beau film de fiction, All We Imagine as Light, figure lui aussi en Compétition. Au fil de la conversation, elle m’explique que pendant ses études de cinéma, elle a rédigé un mémoire sur Miguel Gomes et Apichatpong Weerasethakul, qu’elle admire beaucoup. Je lui racontais alors que Gomes et Jia (dont elle aime aussi beaucoup l’œuvre) ont encore frappé fort de part la méthode cinématographique qu’ils ont cette fois-ci employée. Ses yeux se mirent à briller. Elle était émerveillée. Je crois que le cinéma du futur nous réserve encore de bien beaux films.
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