Une actrice débarque chez celle qu’elle va interpréter à l’écran. À mi-chemin entre du Claude Chabrol et du John Waters, le nouveau long-métrage de Todd Haynes, présenté en sélection officielle, est un bijou de subtilité et d’humour.
Quelquefois, un film commence et on sait immédiatement qu’il sera très bon. Il y a un je-ne-sais-quoi qui hume la réussite. Que cela soit l’assurance avec laquelle le générique se déploie, l’hospitalité des premiers plans qui nous donne instantanément l’envie de nous y lover, le caractère magistral et déjà sénatorial du rythme de la séquence introductive, May December est de ces films-là. Il débute avec l’arrivée d’Elizabeth Berry (Natalie Portman), une actrice hollywoodienne, dans le foyer formé par Joe (Charles Melton, vu dans la série Riverdale) et Gracie (Julianne Moore), une ex-détenue accusée de pédocriminalité, vingt ans plus tôt. C’est dans le but de la comprendre pour l’incarner au cinéma qu’Elizabeth va partager son quotidien.
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S’il y avait bien une qualité que le cinéma sensible et feutré de Todd Haynes n’avait pas jusque-là, c’est bien l’humour. May December change la donne. Jouissif et ultra ludique, le film est d’une irrésistible drôlerie camp. À mi-chemin entre l’outrance kitsch et la fascination pour la lente nécrose de la middle class américaine d’un John Waters et la rouerie féminine doublée de l’aspect rugueux d’un film de Claude Chabrol, May December est une merveille d’intelligence et de perversité.
Thriller érotique
Ses deux comédiennes principales, dans un registre très différent (Moore a le cœur chaud mais la peau froide, Portman l’inverse), y livrent le portrait croisé de deux femmes vénéneuses, de deux cobras se livrant un duel larvé. Renversant totalement tous les stéréotypes de genre, le film invente un thriller érotique comme on n’en avait jamais vu. Le moment où le personnage de Joe, mari objet enfermé dans la fiction de sa femme, réalise qu’à l’image des larves de papillons dont il s’occupe, il a été maintenu à l’état de chrysalide, est d’une puissance folle. Cette scène pivot confère au film une portée bouleversante sur le pouvoir émancipateur de la fiction.
Tout en jeu de reflets, en plan miroir et en contamination par la figure du double, May December est une habile réflexion sur la façon dont nos histoires, ou celles que l’on se raconte, sont constitutives de nos identités. Si le film ne négocie pas avec la condamnation de la pédocriminalité (l’acte qui précède l’intrigue du film), il n’y est pas tant question de culpabilité que de jeux d’influence et surtout d’emprise. Il sera fascinant de mettre le Todd Haynes en parallèle avec L’Été dernier de Catherine Breillat présenté dans deux jours, tant les films sont proches en termes de sujet : la relation entre un jeune homme et une femme beaucoup plus âgée.
May December de Todd Haynes est présenté en compétition.
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