À Cannes, une chose est sûre : toutes les soirées ne se valent pas.
Dans ma première chronique nocturne, je me demandais s’il était encore possible d’avoir envie de faire la fête à Cannes, dans un contexte où la direction du festival n’a jamais semblé aussi sourde aux revendications de l’époque, en sélectionnant des œuvres fabriquées dans des conditions de tournage problématiques, tandis que la préfecture a comme chaque année interdit toutes manifestations pendant la durée du festival (ce qui n’a pas empêché la CGT de couper brièvement le gaz et de manifester aux abords de la gare hier mardi 23 mai).
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À quelques jours de la fin de la quinzaine, force est de constater qu’on a quand même fait la fête, mais dans un état d’esprit étrange, sans jamais se départir d’une forme de dissonance cognitive. Plus que jamais, elle aura été ce refuge où l’on se retrouve entre ami·es proches pour oublier, pour faire diversion, pour rendre supportable l’obscénité ambiante. La fête exutoire, la vraie. Ce n’est pas jojo certes, mais on savait d’avance qu’elle aurait ce goût-là. “Si c’est pour se pincer le nez aujourd’hui, il valait mieux rester à Paris”, nous dit une petite voix au moment où on ingurgite la cinquième coupe de champagne de la soirée.
Champagne et écran de fumée
Ce n’est pas Taha Bouhafs, croisé à la soirée d’Anatomie d’une chute de Justine Triet, qui nous dira le contraire, on peut être d’extrême gauche et faire la fête sur une plage du Festival de Cannes. La soirée était par ailleurs l’exemple parfait de ce qui peut rendre une fête cannoise très réussie, à savoir le rassemblement d’une famille de cinéma autour du film français le plus réjouissant du Festival, comme c’était le cas pour 120 battements par minutes de Robin Campillo en 2017. Swann Arlaud chaud bouillant au centre de la piste de danse, Nancy Grant en visio ultra chic, Iris Brey, Nadia Tereszkiewicz, Vincent Lacoste, Louise Chevillotte, Jehnny Beth, Augustin Trapenard, Anaïs Demoustier, Antoine Reinartz et toute l’équipe du film étaient présent·es pour fêter ce film qu’on espère bien retrouver au palmarès samedi.
Dans un tout autre registre, la soirée de Conann de Bertrand Mandico restera peut-être comme la plus réussie du festival. Ce n’est pas son casting (on aura de toute façon été incapable d’y reconnaître Brad Pitt tellement l’air était saturé de fumée), ni sa localisation (un obscur bar du centre-ville) qui la rendit mémorable, mais la façon dont, avec ses néons verdâtres, sa pénombre enfumée et sa techno berlinoise, elle entrait en résonance parfaite avec l’univers glam et fantasmagorique du cinéaste.
À Cannes, il y a aussi ces fêtes où nous ne sommes pas invité·es, nous tiers état de la critique, pas assez chic pour atteindre ces strates-là de l’indécence cannoise. La fête de la sulfureuse série The Idol fait partie de celles-là. Et tant mieux puisque des informateurs nous ont révélé qu’on y atteint des sommets d’obscénité, avec des pots de caviar à la petite cuillère et une facture totale qu’on estime à 700 000 euros. À titre comparatif, le très beau film de la semaine, Le Ravissement a coûté 2 millions. Le tiers du budget d’un long-métrage parti en caviar et en alcool de luxe, cette décomplexion totale dans l’étalage de l’argent des puissants du cinéma (en l’occurrence de la télévision puisqu’il s’agit de HBO), c’est plus que jamais ça, Cannes.
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