Le film de Maïwenn, actuellement en salle et qui fait l’ouverture du Festival de Cannes, déçoit par sa mise en scène ampoulée et son manque d’incarnation.
“Du barry, c’est moi.” C’est en substance le résumé de Jeanne du Barry, 6e film de Maïwenn, portrait romanesque de cette roturière et courtisane qui a dû son ascension sociale à la bienveillance de ses nobles amants, jusqu’à devenir la maîtresse favorite de Louis XV. Une “transclasse” dit-on aujourd’hui, dans laquelle l’actrice-réalisatrice se projette sans recul et poursuit, après ADN, une sorte de diptyque de ses origines : “Oui oui je suis maghrébine / Oui oui je suis transfuge.”
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ADN avait un charme brouillon, travaillé par des vents contraires et irréconciliables : l’egotrip (dès lors que la réalisatrice se met en scène), et l’amour des grandes tablées d’acteurs qu’elle filme comme une hydre à plusieurs têtes et dont elle parvient toujours à tirer une énergie qui fait les meilleures moments de son cinéma. Précisément, Jeanne du Barry confirme la victoire de l’egotrip sur une toute autre ambition formelle et narrative. Cette fois-ci, le récit de soi se poursuit dans la luxuriance du film d’époque à 20 millions d’euros, où l’élément de décor le plus dispendieux s’avère être Johnny Depp grimé en Louis XV, clou du spectacle décevant, jetlagué en plein cinéma français – si le film a une référence, ce serait davantage Lost in translation que Marie-Antoinette. On a rarement vu l’acteur si absent de lui-même, comme resté mentalement dans sa loge.
L’actrice-réalisatrice dépassée
Plus que la star hollywoodienne, c’est toute l’énergie des acteurs qui se trouve asséchée sous la logistique rigide du film d’époque qui tombe ici dans ses pires travers. Corps et récit convergent uniquement vers une direction : le portrait complaisant d’une scandaleuse qui prendrait ses quartiers dans un Versailles (le cinéma français), sous le regard scrutateur de la Cour, mais avec l’assentiment du roi (Luc Besson). En s’offrant un si gros jouet, l’actrice-réalisatrice semble dépassée par sa mise en place, ne parvenant pas, sous les crinolines et les messes basses de convention, à y infiltrer un vrai regard, misant sur la picturalité factice, façon “tableaux”, que lui offre le plan d’ensemble.
On gardera en tête la prestation des deux filles du rois incarnées par le duo India Hair et Suzanne de Baecque, Javote et Anastasie aux apparitions très camp, qui tirent le film vers un territoire qui serait celui du conte de fées naïf – du film de princesses Disney même – sans doute la piste la plus intéressante à investir. La mythologie personnelle mâtinée de fantasmes (le système, c’est toujours les autres) révèle un véritable syndrome de la Schtroumpfette qui verrait Cendrillon-Maïwenn triompher de toutes ses rivales, sous le regard bienveillant d’une gent masculine saisie comme une véritable cellule anti patriarcat. En larmoyant sur son sort, tout en ayant trop de moyens pour le faire, Jeanne du Barry révèle son inconscient un peu encombrant : non pas dynamiter un milieu, mais lui offrir une pirouette qui vient renforcer son immunité. En somme, une charge anti-establishment modélisée par le système lui-même.
Jeanne du Barry de Maïwenn est présenté en ouverture du Festival de Cannes 2023. En salle.
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