Un film de procès et beaucoup plus qu’un simple film de procès. Magnifique et haletant, de bout en bout.
Oh, quel beau film ! Intelligent, maîtrisé de bout en bout, très précis, haletant. Après La Bataille de Solférino présenté à l’Acid en 2013, Victoria à la Semaine de la Critique en 2016 et Sybil, déjà en compétition en 2019, c’est le quatrième film que Justine Triet emmène à Cannes. La notion de progrès en art est assez absurde, mais il semble que le cinéma de la cinéaste française gagne à chaque film en qualité de mise en scène, en cohérence avec ses autres longs, et nous plonge dans des abîmes de réflexion sur le réel, le mensonge, la représentation. Son film est riche d’aspérités, de synthèse, de cohérence et de mystères à la fois.
Il commence comme un roman policier : Samuel et Sandra (Sandra Hüller, révélée par Maren Ade dans Toni Erdmann, mais déjà présente dans Sybil), quadragénaires, sont venu·es s’installer à la montagne dans un chalet isolé avec leur fils Daniel, 11 ans, qui est malvoyant, dans la région dont Samuel est originaire. Sandra, qui est écrivaine, ne s’y plaît pas. Un jour, Samuel tombe ou se jette par une fenêtre : en tout cas, il est retrouvé mort, le crâne fracassé, au pied de la maison.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Les histoires qu’on raconte
L’enquête commence et très vite se pose une question : est-il tombé ou a-t-il été poussé par Sandra ? La veille de la mort de Samuel, il avait eu une violente dispute avec Sandra. Le procès d’assises commence. Sandra a choisi pour avocat un vieil ami, Samuel (Swann Arlaud, toujours parfait), qui n’est pas insensible à son charme. La vie de Samuel et Sandra est exposée au grand jour. Le jeune Daniel va découvrir avec nous des choses, traumatisantes pour un enfant, qu’il ignorait jusqu’alors : par exemple que sa mère avait trompé son père l’année précédente avec une femme.
Ce qui est beau, dans une œuvre d’art, c’est lorsqu’elle est à la fois ce qu’elle est (ici un film de procès classique, comme l’était déjà en partie Victoria) et qu’en même temps elle est autre chose. Car ce qui importe ici, ce n’est pas la vérité, mais les histoires qu’on raconte et se raconte, en essayant de convaincre les autres (un jury) que son histoire est la meilleure. Les joutes verbales entre avocat·es ne sont que des récits : la même histoire racontée totalement différemment, avec la même conviction, les mêmes soi-disant preuves, par l’avocat·e de la défense ou l’avocat·e général·e, mais pas du tout la même conclusion, évidemment.
Sandra préfère parler dans sa langue natale, l’allemand, ou en anglais plutôt qu’en français, qu’elle maîtrise mal. C’est donc par le truchement d’un interprète que sa version se fait, dans une manière de représentation un peu biaisée du réel (les mots d’une langue n’ont pas toujours exactement le même sens dans une autre langue).
Petit miracle d’intelligence
Ici, finalement, c’est un enfant qui aura le denier mot en venant témoigner à la barre et raconter SON histoire. Et l’on ne saura jamais s’il a raison ou même s’il dit la vérité. Il a choisi son récit. Il n’y a évidemment aucun hasard dans l’idée superbe de Triet et de son coscénariste Arthur Harari (l’auteur d’Onoda, également un film sur les histoires qu’on se raconte…) que cet enfant très mûr soit à moitié aveugle.
La cécité est le propre des gens qui racontent des histoires : le père de tous·tes les écrivain·es est bien sûr Homère, or on dit qu’il était aveugle, et le devin Tiresias aussi. Pour raconter, il ne faut pas voir, il faut fermer les yeux, et choisir un chemin qu’on donnera à un récit : qu’il soit vrai ou faux n’a aucun sens. Qu’on le choisisse oblige à n’en plus sortir. La psychanalyse, si présente dans Sybil, le disait déjà : elle consiste à tenter de donner un sens à sa vie.
Anatomie d’une chute (titre évidemment inspiré du génial Autopsie d’un meurtre d’Otto Preminger, dont Triet se réclamait déjà au moment de Sybil), petit miracle d’intelligence, est à la fois un film de procès, la psychanalyse d’un couple, une tentative de donner du sens à une mort, et un éloge du cinéma comme récit. C’est passionnant !
Anatomie d’une chute de Justine Triet est présenté en sélection officielle. Le film sortira en salle le 23 août.
{"type":"Banniere-Basse"}