A travers le récit d’un amour infini devenu impossible, celui d’une fillette et de sa nourrice, le film remue nos certitudes et nos coeurs.
Le film, réalisé par Marie Amachoukeli, est présenté à la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2023 dont il en fait l’ouverture. Cléo, toute frisée, a six ans et porte des lunettes. Elle vit seule avec son père, qui travaille beaucoup. Elle est donc gardée par sa nounou capverdienne, Gloria, qui l’élève depuis toujours. Ces deux-là s’entendent comme larrons en foire. Mais quand la mère de Gloria décède et que la nourrice décide de retourner définitivement s’installer dans son pays et s’occuper de ses enfants, la séparation est très rude, surtout pour Cléo, qui avait trouvé en Gloria une mère de substitution, tout comme celle-ci avait sans doute reporté tout son amour sur Cléo.
Le père de Cléo tient néanmoins parole : à la fin de l’année scolaire, Cléo part quelques semaines au Cap Vert revoir Gloria et faire connaissance avec sa famille. Les retrouvailles sont bouleversantes. Mais Cléo est tiraillée par des démons, et César, le fils adolescent de Gloria, a dû mal à adopter et aimer sa propre mère, qui l’a laissé si longtemps seul.
Une écriture suggestive et remarquable
La réalisatrice et scénariste Marie Amachoukeli est loin d’être une inconnue à Cannes. Elle avait co-réalisé, avec Samuel Theis et Claire Burger, le beau Party Girl, qui avait remporté la Caméra d’or en 2013. Elle avait aussi écrit Une Mère incroyable (Litigante) de Franco Lolli, qui avait déjà fait l’ouverture de la Semaine de la critique en 2019.
Il faut d’abord saluer les qualités d’écriture du film, qui n’évite – sans jamais en parler directement, mais en les évoquant, en les montrant seulement – aucune des questions essentielles que sont celles sur une forme de néo-colonialisme, qui oblige des femmes à partir seule gagner leur vie et celle de leur famille pendant des années en Europe. Et qui, à leur retour, sont parfois considérées comme des étrangères par leurs propres enfants, ou des vaches à lait par des hommes intéressés (Gloria a entrepris de faire construire un hôtel et les entrepreneurs lui réclament toujours plus d’argent).
Une jeune actrice étonnante
Le spectateur se retrouve subjugué par la direction d’acteurs, par la pudeur, la retenue de la mise en scène, qui ne tombe jamais ni dans l’excès de sentiments ni dans le misérabilisme. Si Ilça Moreno, dans le rôle à plusieurs facettes de Gloria (mère, grand-mère, nounou, cheffe de famille), est admirable, il faut bien dire que la jeune Louise Mauroy-Panzani ( qui n’a rien à voir avec ces enfants neuneus, singes savants qu’on voit dans beaucoup de films) est absolument étonnante, malgré son jeune âge. On se demanderait presque comment une enfant de six ans est capable manifester une telle maturité et intelligence de jeu.
Parfois, quelques scènes de dessin animé viennent interrompre le récit pour montrer les pensées et les fantasmes les plus secrets de Cléo. Nullement artificielles, redondantes, inutiles, elles viennent bien au contraire enrichir davantage l’imaginaire du spectateur, et l’ouvrir sur la psyché du personnage principal sans jamais, justement, chercher à lui donner des leçons de psychologie. Après tout, il est temps qu’il grandisse, lui aussi. Tout comme Cléo qui va comprendre bien des choses. Un très beau film.