Cannes est-il le réceptacle d’un nombre réduit de genres de cinéma parmi lesquels l’un dominerait tous les autres en « genre cannois alpha » ?
On avançait il y a quelques jours qu’un festival comme Cannes donne le sentiment que tous les films du monde pourraient se ranger en seulement quatre ou cinq catégories, quatre ou cinq patrons fictionnels (au sens que la couture donne au terme “patron”), à partir desquels chaque cinéaste déploie son inventivité (et dans le meilleur des cas, crée du neuf à partir du patron). Cette année à Cannes, on aura donc vu beaucoup de coming of age movies où la chronique de l’adolescence se mâtine de fantastique (Nos Cérémonies, El Agua, Falcon Lake…). Beaucoup de films de mise en abyme, qui par le récit d’un tournage ou d’une représentation de théâtre théorisent la création (Irma Vep, Coupez !, Les Amandiers, Don Juan…). Beaucoup de récits directement autobiographiques aussi (Un beau matin, Frère et sœur, Les Amandiers encore, ou sur un mode documentaire : Les Années super 8, d’Annie Ernaux et David Ernaux-Briot).
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Mais le genre le plus dominant d’entre tous, propre à définir ce que serait l’académisme cannois en cours, c’est la fable morale et démiurgique sur la noirceur de l’époque, de nos sociétés voire même de l’humanité dans son essence. Ce genre cannois alpha connaît bien sûr toutes sortes de nuances. Les Nuits de Mashhad d’Ali Abbasi (Notre critique) ou Boy from Heaven de Tarik Saleh en sont la déclinaison sous forme de thrillers didactiques, rémanence de l’antédiluvien film-dossier engagé seventies (Costa-Gavras n’est pas si loin). Ruben Östlund, avec Triangle of Sadness, représente la veine la plus nihiliste mais aussi la plus cocasse, combinant de façon rusée le dégoût et l’hilarité. Cristian Mungiu ou Jerzy Skolimowski (R.M.N et EO), deux regards sur l’Europe, les flux migratoires, la précarité et l’exclusion, en sont eux le versant le plus artiste, le plus audacieux formellement.
Deux salles, deux ambiances
Une dimension punitive parcourt souvent ces longues et accablantes méditations misanthropes. Toutes pourtant ne se valent pas. Pourquoi, sur des questions assez proches, les procès à charge de l’humanité signés Jerzy Skolimowski ou Ruben Östlund, produisent finalement des sentiments opposés (l’un étant si beau, l’autre étant si laid) ?
C’est la place d’où l’on scrute qui fait la différence. Ruben Östlund observe l’organisation hiérarchique du monde en la surplombant comme un petit théâtre dérisoire dont aucun vice ne lui échappe. Sur ce Titanic next gen, il existe encore une place au-dessus de l’oligarque russe : celle de Ruben Östlund, démiurge qui pense en savoir long sur tous et distribue les places (en haut puis en bas puis…) à ses pantins. La force d’EO occupe la place opposée, non pas au plus bas de l’humanité, mais en dessous encore. Là où tout est altérité et mystère. La proposition d’identification est inverse. Et les champs de connaissance qu’elle ouvre autrement plus exaltants.
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