S’il fallait cartographier la France en fonction du nombre d’entrées enregistré par les salles de chaque ville, Cannes serait aujourd’hui une mégalopole à elle seule. État des lieux d’une situation qui commence à s’installer sur un inquiétant long terme.
Cannes est probablement la seule ville de France cette semaine où des salles de cinéma (celles du festival) sont pleines à craquer. Car partout ailleurs la fréquentation est en berne. Durant les quatre mois qui ont précédé le festival, les exploitants et l’ensemble de l’industrie française s’inquiétaient : le niveau d’entrées restait largement en dessous de celui de 2019. L’espoir que le festival redynamise ce marché affaibli en faisant exister commercialement des films d’auteur bénéficiant de la vitrine du festival était bien réel.
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Au vu des premiers résultats, la déception est de mise. En 2022, la fréquentation des salles la semaine du 18 mai est inférieure de près d’un million à celle de 2021 (malgré l’absence du festival de Cannes, mais jouissant en revanche de la réouverture des cinémas après six mois de fermeture). Coupez ! de Michel Hazanavicius – sorti la première semaine du festival – était évidemment le favori des concurrents cannois. Avec seulement 100 000 entrées en huit jours d’exploitation, le film est très en deçà de ses objectifs et devrait terminer sa carrière sous la barre des 250 000 entrées (il serait absurde de comparer ce score aux trois millions de The Artist, mais on note néanmoins que le film démarre plus mal que le précédent film d’ouverture cannois, Annette de Leos Carax, au profil pourtant moins populaire).
Comparativement, Frère et Sœur d’Arnaud Desplechin s’en sort mieux. Sorti un vendredi, le film cumule 73 000 entrées en cinq jours et arbore une moyenne par salle très supérieure à la comédie de Hazanavicius. Le film pourrait atteindre 300 000 entrées (soit moins que ses derniers films, Les Fantômes d’Ismaël ou Roubaix, une Lumière). Un score moyen mais correct qui atteste de la relative stabilité du label Desplechin.
Dans les sorties plus récentes, Don Juan de Serge Bozon existe assez faiblement en dépit de son casting attirant : 8 000 entrées en deux jours. Sur la foi de sa première séance parisienne, Crimes of the future attire moitié moins de spectateur·trices que Map to the stars en 2014. Seul Top Gun: Maverick réussit à peu près son lancement (mais on peut imaginer que ce succès ne doit pas grand chose à Cannes). Coup de massue supplémentaire, le CNC a publié lundi dernier une étude intitulée “Pourquoi les Français vont-ils moins au cinéma ?” confirmant que 48 % des Français·es déclarent ne pas être revenu·es du tout ou en tout cas moins souvent dans les salles depuis leur réouverture il y a un an.
La situation est alarmante et tous les maillons de la chaîne industrielle sont extrêmement tendus. Il serait néanmoins regrettable que ce climat d’anxiété constitue une pression au moment de la constitution du palmarès. On espère que le jury ne s’encombrera pas de pensées stratégiques tournées vers l’industrie (la nécessité relayée parfois par certains médias de donner la Palme à des films à potentiel public fort) et exercera un pur jugement de goût.
À notre sens, le geste le plus fort en matière de choix de Palme depuis une vingtaine d’années est le couronnement d’Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul en 2010. Certes le film, avec ses 130 000 entrées en France, est l’avant-dernier du classement des films palmés selon leur score au box-office, mais c’est toute la grandeur, et probablement la raison d’être essentielle du festival, de pouvoir braquer soudainement les pleins feux sur des œuvres aussi précieuses.
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