Ce jeudi 19 mai, “Hi-Han” de Jerzy Skolimowski est venu rafraîchir une croisette encore trop sage.
Jusque-là, la Compétition démarrait plutôt mollement. Un film de Kirill Serebrennikov (La Femme de Tchaïkovski), plastiquement virtuose, mais très cadenassé (et très en-dessous en matière d’impact émotionnel de son magnifique Leto). Une bromance lénifiante dans les alpages (Les Huit Montagnes de Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen). Même James Gray, avec son Armageddon Time, a livré un film assez mineur, qu’on peut bien sûr aimer comme tel (lire la critique plus enthousiaste de Marilou Duponchel), mais qui peut aussi faire regretter l’ambition, le lyrisme et l’ampleur de Lost City of Z et Ad Astra.
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C’est donc d’un âne qu’est venue la première décharge électrique, qui d’un coup de sabot a rendu bien sage et vaguement boring tous ses compétiteurs. En dépit de l’admiration éprouvée par endroits pour l’œuvre de Jerzy Skolimowski (Le Départ en 1967, Deep End en 1970, Travail au noir en 1982, Essential Killing en 2011), on ne s’attendait pas à ce que le cinéaste polonais de 84 ans réussisse encore un film d’une telle vigueur.
Eo est probablement le film le plus audacieux qu’on verra de tout le festival. Le canevas évoque Au hasard Balthazar de Robert Bresson ; à travers le trajet d’un âne, passant de mains en mains, le film esquisse une fresque elliptique de toutes les couches de la société humaine. Mais Jerzy Skolimowski élargit le champ à l’Europe tout entière puisque cet âne venu de Pologne migre de pays en pays vers l’ouest. À la manière d’une farce sarcastique et outrée, dans une esthétique tapageuse et assez jubilatoire jusque dans ses incongruités (heavy metal sur la bande son, prises de vue tarabiscotées et baroques, raccords appuyés et cinglants), Skolimowski est sans pitié et peint tout un continent qui va tête baissée à l’abattoir. La conclusion fait froid dans le dos, mais le constat se double d’un rire démoniaque qui nous laisse époustouflés.
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