Le cinéaste russe dissident Kirill Serebrennikov revient à Cannes avec un film porté par l’interprétation de sa comédienne principale.
Placer le nouveau film du cinéaste russe dissident au lendemain du discours prononcé par Volodymyr Zelensky lors de la cérémonie d’ouverture du festival n’a rien d’anodin. On y voit sans peine une volonté affichée d’actionner à toute berzingue le levier du soft power cannois sur l’échiquier géopolitique international. Par un troublant coup du sort, c’est au moment où débutait la première projection du film sur la Croisette qu’apparaissait sur nos écrans de téléphone portable l’annonce selon laquelle la Russie expulsait de son territoire 34 diplomates français.
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Et pourtant, celleux qui s’attendaient à un film historique jouant à fond la carte de la métaphore de la Russie contemporaine seront sans doute déçus. Bien que rappeler dans le contexte actuel que l’un des plus grands artistes russes était homosexuel est en soit un acte fort, La Femme de Tchaïkovski est plutôt un film sur la condition des femmes au crépuscule du XIXe siècle et sur l’impunité des génies.
Le film s’ouvre sur l’enterrement de Tchaïkovski en 1893 et tisse par là un pont avec la fin de La Fièvre de Petrov. Serebrennikov y filme dans les deux cas la résurrection fugace d’un artiste sur son lit de mort. Sauf que si le personnage du précédent film était une projection du cinéaste en artiste condamné, le mort-vivant de son nouveau film incarne quelque chose de beaucoup plus trouble, à la fois figure d’oppression pour Antonina, sa femme trompée et délaissée, génie total et homosexuel notoire. Mais le sujet du film, c’est évidemment le vécu de cette femme bafouée.
La performance d’Alyona Mikhailova
Car après cette séquence d’ouverture, la suite est un très long flash-back chevillé à la présence d’Antonina, un flash-back qui remonte à la rencontre entre Tchaïkovski et sa femme, à ce tragique malentendu inaugural où la jeune femme n’a pas compris, ou pas voulu comprendre, que le coup de foudre qu’elle éprouvait pour le maître de la musique romantique serait irrémédiablement condamné par son homosexualité.
Bien que La Femme de Tchaïkovski soit doté d’une réalisation plus sobre et moins brouillonne que La Fièvre de Petrov, cet amour impossible est mis en scène avec le même goût pour les coup de force ampoulés, la même impression que le film est arraché à un bain de fange et de formol et la même atmosphère irrespirable.
Ni infiniment grâcieux comme Leto, ni pesamment (ou génialement, c’est selon) tripesque comme La Fièvre de Petrov, le nouveau film de Kirill Serebrennikov est plutôt une version féminine et plus sobre de ce dernier, a fortiori lorsque son carton final donne à revoir le film par le prisme de la folie de son personnage principal. Les deux films partagent un même sentiment du seul contre tous, une même réalité cauchemardesque, une même inexorable descente aux enfers trouée de moments de rêveries et un même goût pour le dolorisme. Reste l’impressionnante performance de l’actrice principale Alyona Mikhailova. Dans le contexte international, on imagine mal le film repartir bredouille du palmarès et c’est pour sa partition qu’il mériterait d’y figurer.
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