Avec son troisième long-métrage, présenté dans la section Un Certain Regard, le réalisateur islandais apporte un sursaut d’audace à ce 75ème festival de Cannes.
Après avoir été découvert à Cannes et chaudement applaudi pour ses deux précédents films (Winter Brothers et Un jour si blanc) qui travaillaient un sens du burlesque à froid étrange mais réjouissant, Godland, le nouveau film de Hlynur Palmason, trace une voie de cinéma d’une ampleur augmentée autant qu’il en prolonge les précédents travaux. Du burlesque en sourdine de ses deux premiers films, le cinéaste islandais en expulse la charge comique pour ne garder que la grande quête formelle et existentielle du genre : saisir les défaillances du corps en proie à un environnement hostile.
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Avant même de poser les pieds en terres islandaises, cet environnement est déjà à sa manière hostile pour Lucas, ce jeune prêtre danois à qui l’on confie la mission de construire une petite église dans un village reculé de l’île. Sur le bateau qui le mène à sa mission, il tente difficilement de déchiffrer la longue liste de mots avec lesquels on peut désigner la pluie en islandais (le langage et l’impossibilité de communiquer sera l’autre grand sujet du film). Puis débute le long et aride périple pour rejoindre le village. Plane alors sur l’écran plus d’une heure époustouflante de cinéma, naviguant entre le survival bressonien et le western contemplatif, comptant parmi ce que l’on a vu de plus beau et radical cette année sur la Croisette.
Organicité de l’image
Contrairement aux deux grands chefs-d’œuvre du survival auteuriste (Gerry de Van Sant et Essential Killing de Skolimowski) qui basculent vers une forme d’abstraction, un dérèglement de l’image-action vers l’image-temps, la caméra de Palmason ne quitte jamais la matière. C’est d’ailleurs le grand sujet de son cinéma : après une carrière de calcaire dans Winter Brothers, une pierre qui roule dans Un jour si blanc, Godland filme l’Islande, terre minérale par excellence, comme un gigantesque rocher, tranchant et glissant.
Par l’épure extrême de cette première partie, par l’organicité de l’image (sublime photographie granuleuse en 35mm de Maria von Hausswolff) qui parvient véritablement à toucher la roche, l’eau et la terre, l’Islandais s’affirme comme un grand cinéaste matérialiste. Tout n’est ici que matière (y compris la mort, filmée comme une lente décomposition puis disparition de la chair) et tout phénomène résulte de ces flux et vibrations.
C’est ce que le filmage va opposer à la spiritualité de son protagoniste qui, bientôt, ne pourra résister à la tentation de la chair dans la seconde partie du film. Plus attendue et installée, celle-ci démontre que l’immense talent du réalisateur réside davantage dans l’étude entre l’être et la matière plutôt dans les rapports internes entre les êtres. Un deuxième mouvement moins abouti qui ne fera pourtant pas oublier ce grand geste de cinéma qui avait à lui seul toute la carrure pour prendre place au sein de la compétition officielle, et lui offrir ainsi ce dont elle manque en partie cette année : de l’audace.
Godland de Hlynur Palmason, avec Elliott Crosset Hove, Ingvar Eggert Sigurôsson et Victoria Carmen Sonne, présenté à Un Certain Regard au Festival de Cannes, sortie au cinéma le 21 décembre 2022
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