Après la révélation “Grave”, la réalisatrice Julia Ducournau récidive avec “Titane”, en compétition officielle.
“Si le commandant te dit de croire, tu crois”, lâche un pompier à un autre après que Vincent Lindon leur a intimé de croire en son fils comme s’il s’agissait de Jésus. Le message, en réalité, est adressé par Julia Ducournau à ses spectateur·rices. S’agit-il d’un ordre ? D’une invitation plutôt, qui a la politesse d’être formulée rapidement. Pas de mauvaise surprise, comme ça.
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Avec son deuxième long-métrage, Titane, le commandant Ducournau envoie tout balader, conventions, bon goût, vraisemblance et bienséance, pour dérouler avec furie son film qui ne ressemble à aucun autre — ou plutôt si : à plein d’autres, mais jamais combinés de cette manière. Grave, en 2016, traçait déjà une voie originale dans le cinéma de genre français, mais il paraît presque sage en comparaison de ce Titane totalement timbré. Comme si le succès fulgurant de son premier essai avait décomplexé la jeune cinéaste (et mis suffisamment en confiance ses financiers), qui semble ici venger, par ce geste fou, parfois maladroit, mais toujours courageux, tous ses collègues recalé·es, brimé·es, assagi·es, à qui l’on explique de collège en commission qu’un film “c’est ainsi et pas autrement”.
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Sidération
Mais comment est-il, alors celui-ci ? Impossible à pitcher, pour commencer — c’est toujours bon signe. Pour le décrire, mieux vaut parler des corps qui le peuplent : faire cohabiter des corps monstrueux pour en créer un nouveau, voilà tout ce qui préoccupe Ducournau — et au diable les manuels de scénario. Le premier est une pure découverte, et il appartient à Agathe Rousselle, journaliste et artiste féministe, bombe androgyne qui fonce dans la fiction comme un de ces bolides tunés sur lequel elle danse dans un sublime plan-séquence au début du film. Le second est une redécouverte, et c’est celui, bodybuildé et stéroïdé, cramoisi et transi, de Vincent Lindon, qu’on n’avait jamais vu comme ça. Deux corps en souffrance qui vont se croiser et s’aimer, à la faveur d’un improbable — c’est le moins qu’on puisse dire — enchaînement de circonstances. Comme dans une fable (la psychopathe et le pompier ?) qui n’engagerait au fond qu’une chose : la croyance.
Dieu sait s’il en faut pour accepter les détours d’un récit qui avance bille en tête, sans chercher à convaincre (ni par bonheur à “prendre le spectateur par la main”), mais plutôt à sidérer. Seul le geste de mise en scène motive la cinéaste, qui veut faire mille films en un, et cite pêle-mêle Cronenberg (dans ce qui se révèle être la piste la moins intéressante), Carpenter (coucou Christine), Shyamalan (qui ne s’est pas trompé en la recrutant sur sa série Apple, Servant) ou pourquoi pas Gaspar Noé ou Yann Gonzalez (plus près d’elle). On pense aussi, à l’autre bout du spectre cinéphile, à Carax, qui lui aussi ne s’intéresse qu’au geste pour le geste, avec toutefois ce côté “haute couture” que n’a pas Ducournau, plus dépenaillée, elle.
Tout ne marche pas dans Titane, le moteur tourne par moments à vide (le côté “nouvelle chair”, bon), mais ce qu’elle réussit (notamment la relation Rousselle-Lindon), elle le réussit haut la main, et c’est important, sans malice. Commandant, on vous croit.
Titane de Julia Ducournau, en salle le 14 juillet
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