Le jury présidé par Alejandro González Iñárritu a remis la palme d’or au cinéaste coréen pour un des films les plus unanimement célébrés de la compétition.
Le Président Alejandro González Iñárritu a pris soin de prévenir l’auditoire dès son discours inaugural : cette année, selon les membres du jury, la compétition a été de très haut niveau et c’était un crève-cœur de choisir. De fait, le palmarès opère une coupe très large entre films primés et non primés : pas moins de 9 films sur 20 au palmarès, donc presque la moitié ont été récompensés. En toute logique, tant Parasite a été plébiscité par les festivaliers, la Palme revient à Bong Joon-ho. Très calibré pour la Palme d’or, le film semble être calqué sur celle de l’an dernier. Comme Une affaire de famille de Kore-eda, Parasite est le théâtre de l’âpre lutte d’une famille de déclassés, où se dessine en creux une critique des métamorphoses du capitalisme contemporain. Là où Kore-eda choisissait plutôt la corde de l’émotion et de l’empathie, Bong Joon-ho préfère le registre de la farce satirique et de la cruauté bouffonne. Le cinéaste coréen a d’ailleurs tenu à rendre hommage à deux réalisateurs français qui se sont particulièrement illustrés dans ce registre : Claude Chabrol et Henri-Georges Clouzot.
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Quelles que soient les qualités incontestables de Parasite, on est déçus que ce jury, comme tant d’autres avant lui, n’ait pas décerné la récompense suprême à Pedro Almodóvar. Et si la partition d’Antonio Banderas surclassait celle de tous ses concurrents pour le Prix d’interprétation masculine, on regrette que cette attribution se soit substituée à une Palme d’or pour Douleur et Gloire, à notre sens un des films les plus accomplis de son auteur et le meilleur de cette compétition. On se consolera en saluant l’élégance de Banderas, qui a rappelé que Salvador Mallo, son personnage dans le film, “était Pedro Almodóvar” lui-même. Une façon d’offrir symboliquement le prix au réalisateur (absent de la cérémonie) qui l’a révélé et accompagné pendant quarante ans.
Ce jury a d’ailleurs écarté du palmarès les cinéastes les plus révérés, grand maîtres déjà palmés – Tarantino, Malick, Ken Loach, Kechiche –, ou régulièrement négligés – Desplechin –, liste à laquelle on peut adjoindre le dernier entrant dans les habitués de Cannes, Xavier Dolan. Seule exception de ce désir de renouvellement, Luc et Jean-Pierre Dardenne (déjà dotés de deux Palmes d’or, deux Prix d’interprétation masculine et féminine, un Grand prix et un Prix du scénario) repartent avec le dernier prix qui manquait à leur incroyable collection : celui de la mise en scène pour Le Jeune Ahmed. Une récompense difficile à contester tant le film est un nouveau modèle de précision et de dépouillement.
En récompensant les deux premiers films sélectionnés en compétition, le jury valide la volonté de renouveau du comité de sélection : le bouillonnant Les Misérables de Ladj Ly, récompensé par le Prix du jury (ex æquo avec le beau Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles), et l’envoûtant Atlantique de Mati Diop, première cinéaste noire à être sélectionnée en compétition et récompensée du Grand prix.
https://www.youtube.com/watch?v=6sbBF8hw7RQ
Accorder le deuxième prix le plus important du palmarès à un film aussi formellement audacieux et singulier qu’Atlantique est le geste le plus fort qu’ait accompli le jury cette année.
A ces deux jeunes cinéastes francais.es primés, s’ajoute un troisième prix hexagonal : celui du scénario décerné à Céline Sciamma pour Portrait de la jeune fille en feu, (elle-même en compétition pour la première fois). Un prix que la cinéaste a pris soin de relativiser en déclarant : “Permettez-moi de me détacher de cette récompense”, pour rendre hommage à toutes les cheffes de poste du film intervenues dans un stade créatif ultérieur au scénario et bien sûr aux deux comédiennes principales.
Sur les quatre films en compétition réalisés par des femmes, trois figurent au palmarès : en plus de ceux de Mati Diop et Céline Sciamma, Little Joe de Jessica Hausner a vu son actrice Emily Beecham récompensée. Seul Sibyl de Justine Triet repart les mains vides, peut-être parce qu’il est trop affairé à décrire des enjeux intimes autour de l’amour et de la création pour séduire un jury cannois généralement plus sensible à la critique politique et sociale – critère qui explique aussi sans doute la minoration des films de Tarantino, Kechiche et Almodóvar. Sibyl n’en demeure pas moins pour nous un des plus beaux films de cette édition.
Dans sa volonté d’œcuménisme, le jury a décidé de créer ex nihilo une mention spéciale pour It Must Be Heaven d’Elia Suleiman, un film qui parvient à combiner commentaire politique et réflexion sur la création, les deux grandes tendances de cette sélection, tout en apportant une irrésistible touche de légèreté et de malice.
https://www.youtube.com/watch?v=iPNfFRZjgkE
Enfin, un des plus beaux moments de la cérémonie fut le récit par Viggo Mortensen, dans un français impeccable, d’un voyage en avion aux côtés d’Agnès Varda. La cinéaste, qui fut incontestablement la figure tutélaire de cette édition (de l’affiche du Festival aux multiples évocations des remettants de prix), lui souffla la phrase suivante : “Pour bien raconter et pour faire du bon cinéma, il ne faut pas montrer, mais donner envie de voir”. On laissera à chacun le soin de relire le palmarès à l’aune de cette formule ouverte et inspirante.
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