7 premiers dispatchés parmi les 44 films des différentes sections, de nombreux cinéastes en compétition pour la première fois : la Sélection officielle du 71 eme festival de Cannes, annoncée ce matin par son délégué général Thierry Frémaux, envoie des signes de dynamisme et de fraîcheur.
Soulevons d’emblée le problème majeur débattu pas moins de dix bonnes minutes ce matin durant la conférence de presse du prochain festival de Cannes. Pour ceux qui rêvaient de s’immortaliser ahuris et hilares en selfie, accrochés à l’épaule de Jean-Luc Godard, ce ne sera définitivement pas sur le red carpet cannois qu’il faudra se rendre. Les tontons grincheux Pierre Lescure et Thierry Frémaux l’ont martelé de façon inflexible : non, non et non, le selfie, comme toute autre pratique photographique (portraits de stars à la dérobée, vue plongeante des marches du haut de l’escalier, etc.) ne sera plus autorisé cette année sur les marches. Sauf pour les photographes officiels parqués sur les côtés bien sûr, mais aussi – a ajouté avec fermeté Thierry Frémaux – pour les membres des équipes invitées qui eux conserveront si ils le souhaitent le privilège de dégainer leur smartphone et alimenter à foison leur story insta.
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Jean-Luc Godard aura donc lui le droit de se prendre en selfie. Encore faudra-t-il qu’il vienne au festival cette année – invitation qu’il avait déclinée en 2010 pour Film socialisme, en raison de fameux « problèmes de type grecs » puis en 2014 pour Adieu au langage. C’est une des grandes satisfactions d’une sélection 2018 qui en génère un bon nombre : le génie helvète sera à nouveau en compétition avec Le livre d’image, un « essai filmé » selon Thierry Frémaux. « Rien que le silence, rien qu’un chant révolutionnaire, une histoire en cinq chapitres. Comme les cinq doigts de la main » dit le synopsis. Régulièrement présent en compétition (Sauve qui peut la vie, Passion, Détective, Nouvelle vague, Eloge de l’amour, Adieu au langage…), Godard n’a jusque-là pas obtenu plus qu’un petit Prix du jury partagé en 2014 avec Xavier Dolan. Une palme tardive viendra peut-être réparer cette injustice. L’affiche du festival à l’effigie de Pierrot le fou, au fronton du palais, lui servira-t-elle de talisman ?
Encore une fois
Autour de Godard, on note quelques autres habitués de la compétition : Asghar Farhadi, avec Everybody knows, revient pour la troisième fois en compétition (les deux précédents ont reçu un prix d’interprétation et un prix du scénario), cumulant cette fois le prestige de la course à la Palme et, grâce à son casting royal (Javier Bardem, Penelope Cruz, Ricardo Darin), l’exposition hors-pair du film d’ouverture (hors-compétition, Les fantômes d’Ismaël n’avait pas eu l’an dernier un tel privilège).
Autres familiers de la compète : Hirokazu Kore-Eda (primé en 2004 avec Nobody knows et en 2013 pour Tel père, tel fils) revient avec Shoplifters ; Jia Zhang Ke (cinquième présence en compète et Prix du scénario pour A Touch of sin ) présente Ash is purest white (beau titre) ; Matteo Garrone (quatre compètes et deux Grand Prix en 2008 et 2012 avec Gomorra puis Réalité) racontera les agissements criminels d’un toiletteur pour chiens dans Dogman ; Lee Shang-dong (Prix d’interprétation pour Secret Sunshine en 2007 et Prix du scenario pour Poetry en 2010) présente Burning, annoncé comme un thriller. Enfin, Spike Lee revient en compétition pour la troisième fois, mais 27 ans après sa précédente sélection. Ni Do the right thing en 1989, ni Jungle fever en 1991 n’avaient été récompensés. Son nouveau film, BlacKkKlansman, fait le récit de l’infiltration du Ku Klux Klan par un policier noir. John David Washington (déjà vu dans Malcom X) et Adam Driver en sont les interprètes.
Et de deux
S’ils n’ont été sélectionnés en Compétition que deux fois, Stéphane Brizé et Alice Rohrwacher ont pourtant déja remporté un prix : celui récompensant Vincent Lindon dans La loi du marché (2015) pour le premier et le Grand Prix pour Les Merveilles (2014) pour la seconde. Brizé creuse son sillon de réalisme social en narrant dans En Guerre la fermeture d’une usine puis la mobilisation de ses salariés. Alice Rohrwacher campe avec Heureux comme Lazzaro un hameau rural coupé du monde moderne. Christophe Honoré vient lui aussi pour la deuxième fois en compétition avec Plaire, aimer et courir vite, 11 ans après la présentation des Chansons d’amour (qui n’avait injustement pas été primé). Ce nouveau film raconte l’amour d’un dramaturge et d’un étudiant, dans des années 90 déchirées par l’épidémie du sida. Vincent Lacoste et Pierre Deladonchamps en sont les amoureux.
Welcome
Le charme majeur de cette sélection, à priori, est d’accueillir en son sein de nombreux cinéastes pour la première fois. Certains ont déjà une forte reconnaissance. Comme Pawel Pawlikowski, oscarisé pour Ida (2013), qui présente Cold war, une romance entre une femme et deux hommes dans les années 50 en Pologne, à Berlin et Paris. Comme Jafar Panahi, Caméra d’or avec Le Ballon blanc présenté à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs en 1995, Lion d’or à Venise en 2000 avec Le Cercle et Ours d’or à Berlin avec Taxi Téhéran en 2015, mais dont Trois visages constituera la première présence en compétition officielle. Cinéaste, metteur en scène et directeur de théâtre, le russe Kirill Serebrennikov est comme Panahi assigné à résidence. Son nouveau film, L’été, évoque la passion pour le rock anglo-saxon de la jeunesse soviétique des années 70. Le festival de Cannes a adressé un courrier aux deux pays afin que les deux cinéastes soient autorisés à accompagner leur film.
Enfin on compte aussi un bon nombre de jeunes cinéastes, dont la présence en compétition occasionne une montée en flèche de leur cote. C’est le cas d’Eva Husson, remarqué avec son premier film Bang Gang (2016), et dont Les filles du soleil, avec Golshifteh Farahani et Emmanuelle Bercot, nous plonge en plein Moyen-Orient parmi un commando de femmes soldates kurdes. Vivement remarqué en 2016 avec It Follows à la Semaine de la Critique, Robert David Mitchell présente un nouveau thriller horrifique Under the Silver Lake avec Andrew Garfield et Riley Keough. L’égyptien A.B Shawky réussit l’exploit d’entrer en sélection dès son premier long. Faut-il y pronostiquer un nouveau coup d’éclat à la László Nemes (Grand prix dès son premier film) ? Yomeddine est un road-movie au côté d’un jeune lépreux. Le japonais Ryusuke Hamaguchi n’en est pas lui à son coup d’essai : son précédent film, Senses 1&2 (5h17 tout de même), remarqué à Locarno, sort en France le 2 mai prochain. Netemo sametemo parait s’inscrire dans la prolifique lignée de Vertigo : une jeune femme tombe amoureuse d’un homme qui disparaît, puis de son sosie.
A côté
Le délégué général a également annoncé la liste des films de la Sélection officielle ne concourant pas en compétition : deux séances de minuit (dont un survival avec Mads Mikkelsen, Arctic), sept séances spéciales (dont un documentaire de Wim Wenders sur…le pape), deux films hors-compétition (un blockbuster US, Solo, le spin off Star Wars de Ron Howard et une comédie française, Le Grand Bain de Gilles Lellouche, avec son casting XXL composé entre autres de Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde, Virginie Efira, Mathieu Amalric, Jean-Hugues Anglade, Philippe Katerine – « Un certain cinéma d’auteur français grand public est toujours bienvenu sur la Croisette » a ajouté Frémaux).
Dans le section Un certain regard, les premiers films abondent. Parmi les noms déjà repérés, on distingue Ulrich Köhler, artisan du renouveau du cinéma allemand à l’aube des années 2000 et auteur des très beaux Bungalow et Montag, qui présente In my room. Mais aussi Bi Gan, dont le premier long-métrage Kaili Blues nous avait ébloui et qui vient pour la première fois à Cannes avec Long Day’s Journey Into Night. Et dans un autre genre, Les chatouilles d’Eric Métayer et Andrea Bescond, adapté de leur propre spectacle et doté d’un casting fourni (Pierre Deladonchamps, Karin Viard, Gringe, Clovis Cornillac). Ou encore le retour inattendu d’un auteur prometteur du jeune cinéma français nineties, Antoine Desrosières, (A la belle étoile, 1994), avec A genoux les gars, présenté par Thierry Fremeaux comme un traité des formes les plus contemporaines d’amours et de sexualités. Une star foulera aussi les marches de la salle Debussy : Marion Cotillard, portant un premier film très attendu, aux côtés de Valeria Golino, Gueule d’ange.
Ailleurs
Cette liste des heureux élus se double immédiatement de son envers, celle de ceux qui n’y figurent pas. On se désolera (ou pas) de ne pas y trouver Olivier Assayas (E-book), Claire Denis (High Life), Catherine Corsini (Un amour impossible), Lars Von Trier (The house that Jack Built), Xavier Dolan (The death and life of John F. Donovan), Jacques Audiard (The sisters brothers), Mia Hansen-Love (Maya), Yann Gonzales (Un couteau dans le coeur), Paolo Sorrentino (Loro), László Nemes (Sunset), Brian De Palma (Domino). Certains auraient préféré ne pas aller à Cannes et entamer leur course à l’oscar à Toronto. D’autres figureront peut-être dans la liste des ajouts qu’a annoncé Thierry Frémaux pour les prochains jours. Et on retrouvera probablement de nombreux d’entre eux parmi les sections parallèles. La suite donc la semaine prochaine, lundi avec l’annonce de La semaine de la critique puis mardi avec la Quinzaine des réalisateurs.
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