Cinq ans après sa palme d’or, le cinéaste turc revient à Cannes avec Le Poirier sauvage, variations désenchantée et superbe de la parabole du retour du fils prodigue.Palmé en 2014 pour son « Winter Sleep », Nuri Bilge Ceylan conclut en beauté cette réjouissante compétition. Avec « Le Poirier sauvage », le cinéaste turc poursuit l’autopsie de l’artiste moderne tout en prenant le pouls de la Turquie d’Erdogan.
Après ses études de littérature à Istanbul, Sinan revient chez lui, à Can, bourgade du sud-ouest du pays située non loin de la mythique Troie. Il revoit ses parents, sa soeur, ses amis, son amour du lycée et porte sur eux un regard désenchanté. Aspirant écrivain (comme le protagoniste du génial Burning), Sinan considère les siens et la population environnante comme des provinciaux indécrottablement confits dans leurs préjugés, leur bigoterie, leur vision étriquée de la vie.
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Autoportrait du cinéaste ?
On pourrait voir en Sinan un autoportrait du cinéaste en misanthrope patenté doublé d’un critique oblique mais acerbe de la Turquie rance d’Erdogan. Ce serait sans doute une erreur, du moins en partie : non seulement Ceylan ne cherche visiblement pas à rendre Sinan obligatoirement sympathique, mais il donne leur chance à chacun des autres personnages, singulièrement à son père, pater familias vieillissant et bourré d’humour, qui vit avec une certaine grâce sa mélancolie et son progressif retrait du monde.
© Nuri Bilge Ceylan films
Ceylan brille une fois de plus par sa façon de regarder les êtres sans les juger, de traquer leur vérité humaine dans toute son épaisseur, avec les aspects admirables ou moins reluisants qui coexistent en chacun.
L’autre grande qualité de ce film, liée à la première, c’est l’oeil de Ceylan, aussi attentif, patient et curieux des lieux et paysages que des humains qui les habitent. Le cinéaste est vraiment virtuose pour cartographier une ville ou un quartier, saisir un paysage et un moment dans toute leur vibration présente, filmer de façon neuve une situation aussi usée qu’un baiser amoureux alors que le vent se met à souffler dans les ramures d’un poirier sauvage.
Un récit intime
Ceylan détient cet art panthéiste que possèdent les grands peintres, romanciers… et cinéastes. On a pu parfois lui reprocher une propension à en rajouter dans le contemplatif, comme s’il se regardait filmer, imitant des maîtres comme Antonioni, jusqu’à un certain académisme de la modernité.
Ces défauts sont gommés ici : sans foncer à la Fast & furious, le cinéaste en rabat un peu sur les durées et les longues plages de silence, nourrissant son film de riches dialogues (intimistes, politiques, philosophiques…) et de situations qui font toujours avancer la ballade existentielle de Sinan. Va-t-il publier son premier livre ? Quitter ses parents et son bled et retourner dans la grande ville ? Ou rester, comme pris au piège d’un atavisme familial et provincial ? La réponse se niche dans la dernière séquence, splendide de beauté et d’émotion, telle le showdown d’un western sans flingues entre père et fils, qui justifie à elle seule les trois heures et quelques de ce film qui passent sans encombre, comme les Grecs dans le cheval de Troie.
Le Poirier sauvage, de Nuri Bilge Ceylan, avec Dogu Demirkol, Murat Cemcir… (Fr/Tur/All/Bul, 2018, 3h08)
Sélection : Compétition Officielle
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