Beaucoup de films vus à Cannes opposent à la violence du monde la dureté d’une lecture critique. Mais l’un d’eux les surpasse tous : le plus grand film politique du festival, notre palme idéale, 120 battements par minute de Robin Campillo.
Vous avez demandé la polis, ne quittez pas. La première semaine du cru cannois 2017 est singulièrement riche en tanin politique. Ce n’est certes pas une nouveauté que le festival choisisse des films qui s’intéressent aux dysfonctionnements du monde, mais ce millésime est particulièrement frappant par les diverses reformulations de la chose publique par le cinéma, surtout en une année truffée d’élections aux impacts planétaires.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
La politique est d’abord une affaire de parole, outil performatif ou vecteur d’échange. Ces deux usages sont mis en valeur dans le très beau 120 battements par minute de Robin Campillo qui consacre une bonne part de sa durée aux intenses et longs débats lors des réunions d’Act Up. Le film montre admirablement le rôle clé de l’oralité, la fureur des discussions, la vitalité des idées, qui précèdent et définissent toujours l’action à venir.
Campillo a aussi coscénarisé L’Atelier de Laurent Cantet, autre film de la parole. Des jeunes en difficulté participent à un groupe d’écriture et y apprennent à formuler leurs idées, à argumenter leurs dissensus. Parmi eux, un taiseux, Lacombe Lucien contemporain, secrètement tenté par l’extrême droite : une colère privée de parole peut avoir les pires effets.
La parole est également au cœur de L’Assemblée (que nous n’avons pas encore vu), tourné sur le vif par Mariana Otero au cœur des débats de Nuit debout. La politique peut être prise en charge de façon plus indirecte par le biais de la fable, comme dans Okja de Bong Joon-ho, qui sous couvert d’un conte à la Miyazaki entreprend une dénonciation de l’industrie agro-alimentaire et du capitalisme globalisé, qu’il se pare des atours du cool ou pas. L’ironie est que cette fable soit produite par Netflix, nouveau géant ultralibéral de l’industrie des images, ce qui confirme toutes les intuitions de Guy Debord sur la capacité du système à générer et contrôler sa propre critique.
La fable est également l’option du Hongrois Kornél Mundruczó qui invente dans La Lune de Jupiter un migrant christique doué du pouvoir de lévitation (ce qui n’est hélas pas le cas de ce film pesant) et réduit la question des migrations à un affrontement de western manichéen entre un flic facho et un médecin cynique.
Autre façon d’aborder le champ politique, faire mine de ne pas en parler en filmant des situations intimes qui portent en elles des échos plus larges. Ainsi de Andreï Zviaguintsev qui raconte dans Faute d’amour un couple en plein divorce, des personnages qui se haïssent, glaciation affective raccord avec le climat politique et la météo de l’hiver russe. C’est une association de bénévoles qui pallie la déréliction des services étatiques, accréditant l’idée forte – également présente dans les films de Campillo et Otero – selon laquelle la politique doit être prise en main par les citoyens.
Dans The Square, Ruben Östlund choisit la satire à travers une série de saynètes cocasses ou stridentes pour gratter l’hypocrisie bourgeoise, les fragiles certitudes de nos sociétés qui tiennent à distance une sauvagerie toujours prête à resurgir.
Tout aussi abrasif que Östlund ou Zviaguintsev mais ouvert à une certaine empathie par le biais de ses acteurs, Michael Haneke (avec Happy End) adopte le regard d’une adolescente pour lacérer cet égoïsme bourgeois ordinaire qui reste aveugle aux catastrophes politiques et sociales même quand elles mijotent dans le proche voisinage.
Ces fables et métaphores dessinent un état du monde et renvoient un miroir à l’objet festival en pointant sa nature double de cité-monde artistique et politique et de bulle fêtarde vaguement obscène sponsorisée par les enseignes du luxe.
{"type":"Banniere-Basse"}