Une jeune danseuse prometteuse, une courgette à la vie intense et un fringant Italien à la patte sensuelle… : les belles rencontres cannoises.
Lily-Rose Depp
actrice dans La Danseuse de Stéphanie Di Giusto
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A 16 ans, la fille de Johnny Depp et Vanessa Paradis incarne Isadora Duncan, qui révolutionna l’art de la danse à la Belle Epoque, aux côtés de Soko dans La Danseuse, le premier long métrage de Stéphanie Di Giusto. En ce 13 mai, à Cannes, Lily-Rose Depp donne ses premières interviews. Les recommandations de l’attaché de presse sont claires : pas un mot sur ses parents.
Pourtant, c’est l’actrice elle-même qui en parle, évoquant son enfance ballottée entre l’Europe et les Etats-Unis à cause de leur travail. Cosmopolite (elle parle un français impeccable), rompue à la vie de stars possédant château, yacht et même une île aux Bahamas, elle rêve d’être chanteuse. Mais, à 14 ans, c’est la révélation : un petit rôle dans Tusk, de Kevin Smith, lui enseigne la joie de “s’abandonner”. Deux ans plus tard, la voilà dans la peau d’une jolie insolente.
Au-delà de la performance physique (Lily-Rose danse très bien), l’actrice qu’on découvrira aussi dans le prochain film de Rebecca Zlotowski, Planetarium, est éblouissante en nymphe manipulatrice. Un ange pervers qui brûle la pellicule en réalisant ses premiers entrechats au cinéma. E. B.
Un certain regard
Virginie Efira et Justine Triet
actrice et réalisatrice de Victoria
“Le désir, au départ, c’était de prolonger, d’approfondir le personnage de La Bataille de Solférino, cette jeune mère empêtrée dans sa vie personnelle et professionnelle, avec en plus l’idée de raconter la fin d’une amitié (avec Melvil Poupaud) et le début d’un amour (avec Vincent Lacoste).” Désir largement accompli pour Justine Triet qui, avec Victoria, a électrisé la Semaine de la critique dès son ouverture.
Encore plus accompli que ce premier long métrage de la cinéaste est une comédie virtuose, comme rarement on en voit en France. Et, disons-le, du niveau des meilleures comédies américaines, à qui elle adresse quelques clins d’œil sans avoir à rougir de la comparaison (James L. Brooks, Leo McCarey, Blake Edwards ou Howard Hawks, à qui l’on pense nécessairement lorsqu’elle explique “avoir demandé à ses comédiens d’aller toujours plus vite”). “Dans La Bataille…, j’avais très peu d’argent et de temps, c’est pour ça que j’ai tourné à l’épaule. Mais en fait, mon esthétique est plutôt classique.”
Si Justine Triet affirme “n’avoir pensé à aucun acteur durant l’écriture”, son choix s’est très vite porté, pour le rôle principal, sur Virginie Efira qu’elle a aimée dans 20 ans d’écart et dont elle loue “le jeu minimaliste, le fait qu’il n’y ait pas d’hystérie chez elle et qu’elle soit capable de faire autant avec si peu – et aussi sa beauté bien sûr”.
Persuadée que la Reese Witherspoon belge, jadis star du petit écran mais de plus en plus demandée par de grands auteurs (elle est géniale en catho coincée dans Elle de Paul Verhoeven), allait la “renvoyer chier”, elle lui envoya quand même le scénario. “Justine imaginait que j’avais une vie à la Ava Gardner, et se montrait hyperdéférente. De mon côté, j’avais l’impression d’être Jean Roucas allant voir Olivier Assayas”, s’amuse Virginie Efira.
L’actrice, qui cite Kim Novak comme “modèle de féminité lorsqu’(elle) était adolescente”, décrit la direction de sa pygmalionne comme “particulièrement physique”. “Elle peut faire vingt-sept prises, et adore être très proche de ses comédiens, confie-t-elle. Pendant la scène de sexe, elle était à moitié à poil et disait à Vincent des trucs genre ‘vas-y, lèche-lui les seins’. J’avais l’impression de faire un plan à trois. Mais c’était chouette, hein, y a pas à dire.” J. G.
Semaine de la critique
Shia LaBeouf
acteur d’American Honey d’Andrea Arnold
Dans le road movie country-rap de la Britannique Andrea Arnold, il flamboie en VRP white trash, éruptif et sexy. Sa rédemption d’acteur et son meilleur rôle, celui qui aura le mieux capté ses tensions schizophrènes. J.-M. L. et R. B.
Sélection officielle, en compétition
Alain Guiraudie
réalisateur de Rester vertical
Exit le classicisme épuré de son tube L’Inconnu du lac : Alain Guiraudie fait son entrée en compétition officielle avec un film radical et abstrait.
Vous avez connu votre plus grand succès public avec L’Inconnu du lac, votre film le plus classique. Là, vous revenez avec un objet hybride, anarchique, complètement punk. Pourquoi cette rupture ?
J’ai eu du succès avec un film classique, aux formes un peu lisses, posées. Mais ce n’est pas le cinéma qui me fait rêver. Je suis plus du côté de Lynch ou d’Almodóvar, d’un cinéma qui ose tout. Rester vertical, je l’ai fait contre L’Inconnu du lac. J’avais envie de sortir du lieu unique, de faire un grand voyage. Il fallait que je revienne à mes premières amours, des films comme Pas de repos pour les braves qui mélangent des aspects naturalistes avec les fantasmes, les mythes, les emprunts aux films de genre.
C’est même votre film le plus expérimental, vous croisez la comédie, le western, le récit biblique…
Oui, je suis allé dans plein de directions différentes pendant les neuf semaines du tournage. Je suis parti d’un scénario bordélique, écrit en voyage, de façon décousue, loin des méthodes que je m’imposais avant. On s’est donc retrouvé au montage avec un film très malléable, qui s’inventait au fur et à mesure.
Ce personnage de scénariste en crise d’inspiration, c’est vous au sortir de L’Inconnu du lac ?
Non, mais je pourrais un jour me retrouver dans cette situation. C’est une question de quinquagénaire : est-ce que l’envie va durer jusqu’au bout ? Qu’est-ce que je vais faire le jour où ce désir s’arrêtera ? Peut-être que je ferai comme mon personnage : arnaquer un producteur en faisant semblant de bosser.
La singularité de Rester vertical tient dans la représentation du cul : c’est la première fois que le sexe est aussi triste dans votre cinéma. Ici, on bande mou et, quand on bande dur, c’est pour donner la mort…
C’est vrai. J’avais des séquences de comédie qui contrebalançaient tout ça, mais je les ai virées. Parce que le plus important était pour moi la mort du vieux Marcel : c’est le pivot du film, son point d’orgue.
C’est au fond plus un film sur la parentalité que sur le cul. Mais une parentalité moderne, réinventée…
Je voulais absolument renverser certains débats actuels sur la parentalité. On dit beaucoup que les femmes aiment avoir un bébé seule aujourd’hui, sans se faire chier avec un mec. J’aimais bien l’idée que là ce soit le type qui veuille assumer seul, en vivant sa sexualité à lui. Ça résonne avec des débats qui traversent la société française sur l’homoparentalité, ces gros mots qui font encore peur à certains. R. B.
Sélection officielle, en compétition
Maren Ade
réalisatrice de Toni Erdmann
Maren Ade n’a réalisé que trois films en treize ans. C’est qu’elle est du genre à les mâturer. A en bichonner l’écriture (deux ans). A en fignoler le tournage (plus d’une centaine d’heures de rushes). A en ouvrager le montage (un an et demi).
Après un premier long métrage en 2003 (The Forest for the Trees), primé à Sundance mais inédit en France, et deux Ours d’argent à Berlin pour son second (Everyone Else, sur la crise d’un couple, en 2009), elle est venue tenter sa chance sur la Côte d’Azur.
Née en 1976, elle a fait partie de ce qu’on a appelé, au milieu des années 2000, la “nouvelle vague berlinoise”, aux côtés notamment d’Ulrich Köhler (aujourd’hui son époux). Mais elle ne s’est pas contentée de réaliser, elle a aussi (co)produit des films (de Sonja Heiss ou Miguel Gomes, par exemple), au sein de sa compagnie Komplizen Films.
“J’ai aussi fait de longues recherches pour ce film, car je ne connaissais pas du tout le monde de l’entreprise, s’explique-t-elle, ses yeux bleus pétillants. J’ai choisi le consulting pour deux raisons : parce que la question de la responsabilité y est flottante (ils ne font que conseiller après tout) ; et parce qu’il y a dans ce job un aspect de performance, d’acting, qui me permet de dresser un parallèle entre la fille et le père. Chacun, à sa façon, joue la comédie.”
Le père, ce Toni Erdmann éponyme (gargantuesque Peter Simonischek), a été inspiré à la cinéaste par le sien propre, “un blagueur devant l’éternel lui aussi”, mais aussi par Andy Kaufman, génie de la “awkward comedy” (comédie de la gêne), dont elle avoue avoir vu toutes les vidéos sur YouTube et adorer son personnage le plus atrabilaire, Tony Clifton.
Interrogée sur le rythme étonnant de son film (il dure presque trois heures et est construit comme un grand huit, avec ses enlisements et ses fous rires), elle assure qu’elle ne pensait pas faire un film aussi long. “Croyez-moi, j’ai beaucoup coupé. Mais pour qu’il y ait des hauts, j’avais besoin qu’il y ait des bas. J’aime construire une certaine finesse psychologique, ne pas décréter les choses, et pour ça j’ai besoin de temps.” La patience finit toujours par être récompensée. J. G.
Sélection officielle, en compétition
Céline Sciamma
scénariste de Ma vie de courgette de Claude Barras
Ma vie de courgette est le film d’animation surprise de la Quinzaine des réalisateurs. Sujet social (l’adoption et les foyers d’accueil), justesse peu commune et belles nuances d’écriture sont au rendez-vous de ce récit initiatique où la patte de la réalisatrice de Tomboy se ressent sans pour autant s’imposer : “C’est le style de Claude Barras qui m’a convaincue d’y aller, et la grande spontanéité que les plans-séquences allaient permettre de conserver : je n’ai d’ailleurs pas travaillé d’une façon différente que s’il s’était agi d’un film en prises de vues réelles.” T. R.
Quinzaine des réalisateurs
Cristi Puiu
réalisateur de Sieranevada
“J’ai fait un film sur la trahison, et je me suis constamment senti trahi en le faisant”, nous explique Cristi Puiu dans un français irréprochable, tandis qu’on l’interroge sur la genèse de Sieranevada. S’en suit un long exposé des embûches que le cinéaste roumain a dû traverser (galères de financement, défection de techniciens, mort d’un acteur – celui qui joue le tonton polisson – puis d’un autre collègue…), pour réussir à réaliser son quatrième long métrage et à l’amener en compétition à Cannes, six ans après Aurora (qui n’avait eu lui que les honneurs d’Un certain regard).
“Après ce projet extrêmement éprouvant, mutique et criminel qu’était Aurora, je voulais faire un film léger, drôle, bavard. Or je n’ai cessé d’être rattrapé par les emmerdes – la vie quoi”, précise-t-il, visiblement accablé par la mort de ses deux amis et collaborateurs.
Le tournage fut ainsi, à le croire, une odyssée (forme typique du cinéma de Puiu, et notamment de son fabuleuxLa Mort de Dante Lazarescu), mais une odyssée statique, dans un décor unique : un appartement exigu de Bucarest, où une famille se réunit pour célébrer la mémoire de son patriarche décédé.
La petite dizaine d’adultes qui s’y entassent, attendent un dîner qui mettra des plombes à être servi (pratiquement trois heures), se chamaillent à propos de complotisme ou de Ceausescu, de costumes trop grands ou de mensonges tellement invraisemblables qu’ils en deviennent crédibles.
Ces petites mesquineries familiales, sublimées par le dispositif formel – une caméra placide et lucide, qui s’avance dans le marécage des conversations au gré d’un savant art du hors-champ et du plan-séquence (69 en tout) –, Puiu en a eu l’idée après avoir vécu une situation similaire. “Mon père est mort, alors que j’étais juré au Festival de Cannes (Un certain regard, en 2007 – ndlr) et j’ai dû en partir pour l’enterrer. Après la cérémonie, je me suis engueulé avec une vieille tante communiste, et ça m’a donné l’idée de départ.”
Citant comme modèles La Maman et la Putain, Wang Bing, Raymond Depardon ou Cassavetes (“j’essaie d’aller de plus en plus profond pour me rapprocher de son génie, mais j’en suis encore très loin”), il termine en s’excusant de ne pouvoir nous offrir plus de temps, lui qui aime tellement, d’habitude, le prendre. J. G.
Sélection officielle, en compétition
Davy Chou
réalisateur de Diamond Island
Davy Chou a fait ses premiers pas au cinéma en scrutant sa disparition sous le régime des Khmers rouges. Après Le Sommeil d’or (2011), qui réanimait les heures sombres du Cambodge, son premier long métrage de fiction s’accorde au présent et aux rêves d’avenir de ce pays, en en brossant un portrait éblouisssant à travers quelques-uns de ses ados.
Pétris de culture occidentale, hyperconnectés, ils semblent avoir perdu de vue leurs origines : “Au contraire, ce qui m’intéresse, c’est la réappropriation par ces jeunes de codes occidentaux passés au mixeur de la pop culture cambodgienne. Par exemple, la fête de la Saint-Valentin est un phénomène ultrahystérisé au Cambodge. Tous les jeunes en parlent et veulent aller dans des guest-houses avec des filles.” Diamond Island se situe sur une île au large de Phnom Penh, décor d’un chantier géant depuis 2009 qui devrait accueillir une ville luxueuse et entièrement artificielle, “symbole de l’arrivée brutale du libéralisme”.
Entre rêve et réalité, pauvreté et drague adolescente, Davy Chou drape ce décor kitsch et factice d’une sensualité chatoyante jusqu’à lui donner l’aspect d’un songe : “On a pensé à Hou Hsiao-hsien dans la manière de construire les plans. En terme de texture d’image, on avait des références autres avec le chef op, en creusant du côté du numérique, des films de Michael Mann, les Wachowski, ou encore les couleurs fluo de Spring Breakers d’Harmony Korine. J’ai beaucoup puisé aussi dans les jeux vidéo, les clips et les mangas : toutes ces images très anti-naturalistes traduisaient très bien en quoi Diamond Island incarne l’empire du faux.” E. B.
Semaine de la critique
Julia Ducournau
réalisatrice de Grave
Dans l’écosystème très clanique du cinéma d’auteur français, où l’on guette chaque saison cannoise les nouveaux effets de bande générationnelle, Julia Ducournau fait figure de marginale. Passée sur les bancs de la Fémis, section scénario, et déjà auteur d’un court métrage remarqué, Junior, elle trace un sillon singulier, à mi-chemin entre les codes du cinéma de genre, la comédie américaine et le teen-movie français, ascendance Tous les garçons et les filles de leur âge.
La preuve avec son premier long, Grave, lancé à la Semaine de la critique, objet hybride et turbulent qui reboote le vieux logiciel du récit d’initiation adolescent à travers une histoire d’amours anthropophages. “Je n’appartiens pas trop à la tradition littéraire du cinéma français. Je crois plutôt au visuel, à la force symbolique des images.”
“Le cannibalisme, c’est le symbole d’une sexualité carnassière, un moyen d’aborder le sexe comme un lieu de rapport de force, de dévoration”, explique cette fan de cinéma horrifique, biberonnée aux délires organiques de Cronenberg et à l’humour tripé de David Lynch. Sexy et gore, son teen-movie compense ses maladresses – la direction d’acteurs, pas possible – par une fougue et une audace hyperprometteuses. R. B.
Semaine de la critique
Alessandro Comodin
réalisateur de I tempi felici verranno presto
On l’avait laissé en 2011 près d’un lac, au milieu d’une forêt, avec L’Eté de Giacomo, un premier long métrage d’une irradiante beauté ; on retrouve Alessandro Comodin cette année à la Semaine de la critique, toujours en forêt mais en hiver cette fois, avec I tempi felici verranno presto. Le fringant Italien de 34 ans n’a rien perdu de sa patte sensuelle, une façon de filmer au corps des hommes et des femmes qui courent et (se) cherchent.
En l’occurrence, deux jeunes fugitifs partis pour une odyssée spatio-temporelle comme la pointe contemporaine (Weerasethakul, Alonso) nous y a habitués depuis quinze ans, et que Comodin, très cinéphile (il cite Glauber Rocha, Jan Nemec, Pier Paolo Pasolini, Robert Bresson ou Chris Marker), décrit comme “des résistants, pas au sens politique, mais parce que leurs corps résistent, veulent rester dans l’image, refusent de se laisser assigner à un lieu ou une époque”.
Un lapin et un trou (Alice au pays des merveilles), un petit chaperon rouge (rayonnante Sabrina Seyvecou) et un loup : les contes se chevauchent tandis que le récit se fracture et que les repères se brouillent : “Je voulais partir de topos, de choses très simples et universelles, et ensuite les déconstruire. Mais je voulais surtout faire un film d’aventure.” Comodin nous balade, on ne sait bientôt plus ni où ni quand l’on est, mais on est heureux d’y être. J. G.
Semaine de la critique
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