La Palme d’or incongrue pour un Ken Loach faiblard ternit un peu un palmarès qui comprend aussi quelques motifs de satisfaction.
Parmi les milliers de festivaliers en activité sur la Croisette cette année, il ne devait pas y avoir plus de dix personnes pour penser que Moi, Daniel Blake était le meilleur film de la compétition cannoise 2016. Mais, énorme coup de bol pour Ken Loach, manifestement la plupart d’entre elles faisaient partie du jury…
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Une palme contre-productive
La Palme d’or remise à Loach, pour la deuxième fois (dix ans après Le vent se lève) et pour un de ses films les plus anodins, n’est pas seulement décevante ou incongrue. Elle est aussi contre-productive. “Un autre monde est possible. Et même nécessaire”, a conclu le cinéaste à l’issue de son discours de remerciement. Mais un film peut-il construire un autre monde sans travailler à penser la possibilité d’un autre cinéma ?
C’est tout le paradoxe du cinéma de Ken Loach, et particulièrement de Moi, Daniel Blake : proposer une vision de société extrêmement réformatrice, mais à travers le filtre d’un cinéma extrêmement conservateur (dans sa gestion des identifications aux personnages, sa découpe manichéenne de types humains, son tempo de téléfilm vintage, son storytelling en pantoufles).
Des films plus audacieux, plus contemporains, scannant tout autant les diverses gangrènes qui pourrissent notre monde (corruption, exploitation, injustice, puritanisme…), ne manquaient pourtant pas. Certains sont au palmarès, comme le beau Baccalauréat de Cristian Mungiu (Prix de la mise en scène partagé avec Olivier Assayas pour Personal Shopper) ou encore Le Client d’Ashgar Farhadi (fort de deux prix, meilleur comédien pour Shahab Hosseini et meilleur scénario). D’autres pas, comme Aquarius de Kleber Mendoça Filho, Rester vertical d’Alain Guiraudie (qui, lui, travaille tout à la fois à un autre monde et un autre cinéma possibles) ou encore le très politique Ma loute de Bruno Dumont.
Tout comme le plus beau film du festival à nos yeux, le renversant Elle de Paul Verhoeven…
Un palmarès pourtant riche en révélations
Cette Palme décevante dévalue un peu un palmarès qui, par ailleurs, a aussi ses mérites. Au film le plus aimé des festivaliers (Toni Erdmann de Maren Ade), le jury a préféré des films un peu décriés, ayant déçu certains de leurs supporters a priori, comme Juste la fin du monde de Xavier Dolan ou Personal Shopper de Olivier Assayas. Deux films plus rêches que séduisants, fondés sur des paris de cinéma audacieux (un film que de gros plans pour Dolan, une actrice presque tout le temps seule dans le cadre, aux prises avec toutes les formes du virtuel et de l’invisible pour Assayas).
Le point fort de cette édition 2016 était de toute façon d’être si richement pourvu en révélations ou en confirmations de jeunes talents. Alessandro Comodin (Il tempo felici verrano presto), Julia Ducournau (Grave), Mimosas d’Oliver Laxe (Prix de la Semaine de la critique), Diamond Island de Davy Chou, Ma vie de courgette de Claude Barras, entre autres, dressent le portrait flatteur d’un jeune cinéma vigoureux et très divers. Auquel vient s’adjoindre Divines, le premier film chahuteur de Houda Benyamina, qui a ébouriffé la Croisette et chopé la Caméra d’or.
« Je suis né à Cannes »
Enfin, si la cérémonie de clôture a accouché d’un palmarès décevant, elle a aussi généré un grand moment de télévision. Pour présenter l’acteur français le plus fabuleux de tous les temps et lui remettre une Palme d’honneur, Arnaud Desplechin était l’homme de la situation. Son texte d’hommage était splendide (contrairement au montage d’extraits qui a suivi – ah bon, pas La Maman et la Putain ? sérieux ?).
Et lorsque Jean-Pierre Léaud est apparu, a scandé “Je suis né à Cannes”, égrené les noms renversants de ceux qui en ont fait l’allié de la modernité en cinéma, la soirée s’en est trouvée transfigurée.
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