Si les films présentés à Cannes traitent souvent de sujets sérieux, c’est généralement cette année à travers le tamis de la comédie. Pour conjurer l’angoisse du quotidien ?
S’il y a bien un cliché auquel l’édition cannoise 2016 s’acharne à faire un sort, c’est celui d’un festival voué aux films univoquement sinistres, où les comédies seraient systématiquement reconduites à la sortie. On entend beaucoup de rires dans les salles cette année. Et pas seulement dans la case du film d’ouverture (où la légèreté est usuellement de mise, et dont Woody Allen s’est sorti avec les honneurs).
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On hurle de rire à la bourrasque Victoria, qui bombarde la jeune Justine Triet en Blake Edwards nationale. Les salles s’esclaffent à Ma loute, dans lequel Bruno Dumont ressuscite avec beaucoup de grâce et une certaine science frankensteinienne le B.A.BA burlesque du cinéma (et son évidence innocente à faire rire d’une simple chute au sol).
Rarement la salle du Palais fut secouée d’une telle hilarité
Le baromètre du rire a atteint la surchauffe dès la première projection de Toni Erdmann, de Maren Ade. La cinéaste allemande trouve un point de tension très efficace entre une platitude formelle très concertée (lumière blême, décors tristes, filmage sans apprêt, dilatation dramatique par la durée) et une loufoquerie totale des situations.
La fantaisie la plus débridée y est sans arrêt refroidie par l’austérité d’une forme hypo-expressive. Jusqu’à ce que la tonalité pince-sans-rire du film soit pulvérisée par une scène démente de party à la fois naturiste et corporate entre collègues d’une même entreprise. Rarement la salle du Palais fut secouée d’une hilarité aussi générale. Les jours prochains, jusqu’à la farce éclatante de Verhoeven projetée à la fin du Festival, ne devraient pas inverser la tendance.
Pourtant, l’état du monde ne prête pas tellement à rire. Le paradoxe n’est que superficiel mais la profusion d’esclaffements est connexe à une montée générale de l’angoisse. On rit sur fond de délitement de microcosmes familiaux et macrocosmes géopolitiques (dans Sieranevada, visant non sans lourdeur une forme comique d’oppressement) ou de transgression des tabous les plus ancestraux (inceste et cannibalisme chez Dumont).
Le come-back de l’anthropophagie
Le rire avance main dans la main avec la peur. Une peur archaïque, venue de la nuit des contes, de la nuit de l’enfance. Cannes 2016 a ainsi vu massivement revenir la figure du loup : centrale chez Guiraudie (la fin sublime de Rester vertical, qui voit deux humains et un bébé brebis cernés par une meute) ou chez Comodin (I tempi felici verranno presto, avec ses hommes-loups traquant des jeunes filles dans la forêt), plus diffuse dans American Honey (ou Shia LaBeouf, à sa meuf ou à sa meute, pousse un grand cri de loup).
Comme il se doit, le pire loup pour l’homme est l’homme. L’anthropophagie opère ainsi un come-back saisissant. Outre Ma loute de Bruno Dumont, deux teen-movies voient leurs personnages tenaillés par un désir de chair ou de sang humain : Grave de Julia Ducournau et Transfiguration de Michael O’Shea – deux des révélations du Festival. S’entredévorer dans un grand éclat de rire, c’est la perspective mi-excitante, mi-horrifique, que dessine Cannes 2016.
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