Trois ans après Volver, Almodóvar retrouve sa Penélope pour Etreintes Brisées. A la lumière de ce magnifique mélo, visite de son panthéon cinéphile : ceux qui le bluffent, ceux qui l’ont (un peu) déçu, ceux qui l’inspirent.
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Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy (1967)
Le colorisme pop des films de Demy m’a profondément marqué. J’adore aussi la justesse humoristique avec laquelle il traite des situations dramatiques. Et Catherine Deneuve et Françoise Dorléac multipliant les perruques, c’est formidable. Il fait partie lui aussi du club des cinéastes que j’admire.
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8 femmes de François Ozon (2002)
J’ai un peu de mal à déterminer ce qui me semble manquer à ce film, car ce n’est pas une chose matérielle. Ses intentions sont très claires, leur exécution est visuellement très accomplie, l’humour du film est très amusant, j’étais fou de joie de revoir Danielle Darrieux, mais j’ai l’impression pourtant qu’il n’arrive pas à attraper quelque chose de l’esprit du cinéma auquel il se réfère. Je pourrais comparer 8 femmes à un film récent de cinéastes que j’aime beaucoup : Burn After Reading des frères Coen, qui veut reproduire l’esprit des comédies classiques américaines mais le fait de façon un peu appliquée, sans capter l’esprit.
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Vicky Cristina Barcelona de Woody Allen (2008), où il reprend certains de vos comédiens et semble chasser sur vos terres.
J’ai vu tous les films de Woody Allen je crois, et il en a fait beaucoup. Ses cinq ou six derniers films m’intéressent moins que le reste de son œuvre. J’ai l’impression qu’il y a de moins en moins de travail. Il reste un instrumentiste très brillant, mais qui ne me paraît pas à son plus haut niveau. C’est flagrant à mon sens dans Vicky Cristina Barcelona. J’aime chez Woody Allen sa capacité à construire de magnifiques personnages féminins. J’aime aussi ce qu’il a fait de sa cinéphilie, la façon dont elle s’est vraiment fondue dans une expérience, qui peut ressurgir de façon transformée tout au long de son œuvre. J’aime bien l’argument de ce dernier film, l’histoire de ces deux Américaines qui arrivent à Barcelone, rencontrent un peintre qui les drague toutes les deux. Le début du scénario pose un dilemme qui doit trouver sa résolution un peu à la façon des Contes moraux d’Eric Rohmer. C’est très ludique, j’aime beaucoup.
Mais ensuite la façon dont ça s’incarne, c’est assez peu vraisemblable. Ce personnage de peintre contemporain à la Julian Schnabel, milliardaire, qui a des palaces dans plusieurs endroits dans le monde, ça n’existe pas en Espagne. Le problème du film est aussi que son personnage le plus intéressant est écarté très vite du récit : pour moi, c’est Rebecca Hall, mais le film se désintéresse d’elle au profit de Scarlett Johansson. Son personnage ne sait pas ce qu’il veut, recherche des expériences qui la désorientent, et j’ai l’impression qu’il finit par s’identifier au scénario. C’est le film dans son ensemble qui semble à un moment désorienté et ne sait plus trop ce qu’il veut. C’est finalement ça le plus grave. Le fait qu’il représente une Espagne qui n’existe pas ne me dérange pas. Ça ressemble aux conventions du cinéma hollywoodien classique qui ne représentait le reste du monde que sous la forme de cartes postales figées.
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Boulevard de la mort de Quentin Tarantino (2007)
Je m’identifie énormément au cinéma de Tarantino et j’aime tous ses films depuis Reservoir Dogs. La première chose chez lui dont je me sens extrêmement proche, c’est l’amour du cinéma. Sauf que les films que j’aime en général sont reconnus communément comme de très grands films. On vient de parler de certains d’entre eux. Lui préfère toujours les sous-produits aux chefs-d’œuvre. C’est une autre façon d’aimer passionnément le cinéma. Il adore aussi Umberto Lenzi, Mario Bava et toutes sortes de choses atroces mais qu’il est capable de transformer en matériau cinématographique de premier choix dans ses propres films. Même si c’est loin de moi, ça me fascine complètement, cette cinéphilie obsédée par les sous-produits. C’est très original. Parfois nos désaccords portent sur des cinéastes plus reconnus. Sergio Leone nous sépare absolument, par exemple. J’adore ce qu’il fait à partir de Sergio Leone. Il reprend sa façon d’amplifier tous les effets. Mais je pense que l’écriture de Leone ne fonctionne que si c’est Tarantino qui l’applique. Dans un film de Leone, c’est juste très pénible. Je n’ai jamais aimé sa façon de découper les scènes, sa lubie de faire des plans hyper hyper rapprochés de Charles Bronson, l’acteur le moins intéressant du monde. Mais quand le même découpage devient celui d’une scène de Kill Bill, il trouve un rythme intérieur, une grâce très supérieure à l’original.
Par ailleurs, j’adore ce trajet qui l’a fait passer d’un film 100 % mecs à des films, à partir de Jacky Brown, uniquement centrés sur des figures féminines. Kill Bill est un grand film d’action au féminin. Je trouve ce film génial. Boulevard de la mort est un film qui paraît un peu moins sérieux. Mais c’est pourtant, de façon absolue, du cinéma d’auteur. C’est le film de quelqu’un qui ne parle que des deux ou trois choses qui l’intéressent dans la vie : les courses de voiture, des filles aux culs proéminents – un peu comme Fellini, une histoire de psycho-killer… Et il nous dit que ces deux ou trois choses qui l’obsèdent, ça peut faire un film. Un film au plus près de l’os de ce qui le constitue.
Par ailleurs, il y a cette idée extraordinaire de confier le rôle principal du film, non pas à une actrice mais à une cascadeuse. Du coup, il peut faire des plans que personne n’a jamais pu faire dans l’histoire du cinéma : où on voit dans un même plan de cascade la tête et le corps, en plan-séquence, sans découpage pour cacher la substitution d’un corps par l’autre. J’ai une admiration sans limite pour Tarantino. Et ce qui me touche le plus dans son cinéma, c’est cette autonomie morale qu’il confie à ses personnages féminins. Ils sont libres, capables de tout surmonter… Ces femmes peuvent tout. J’adore !
Propos recueillis par Serge Kaganski et Jean-Marc Lalanne