Trois ans après Volver, Almodóvar retrouve sa Penélope pour Etreintes Brisées. A la lumière de ce magnifique mélo, visite de son panthéon cinéphile : ceux qui le bluffent, ceux qui l’ont (un peu) déçu, ceux qui l’inspirent.
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Blow out de Brian De Palma (1982)
Brian De Palma est comme moi un grand admirateur d’Hitchcock. Je ne me souviens plus très bien de Blow out, c’est très inspiré de Blow up d’Antonioni… Pourquoi pensez-vous à ce film en particulier ?
Il y a comme dans Etreintes brisées un accident de voiture dans la nuit, dont on pense à moment donné qu’il s’agit peut-être d’un meurtre, comme dans Blow out. Et les fins des deux films sont très proches. Le héros y retravaille sur des images ou des sons de la femme qu’il aimait et qui est morte.
Ah oui ! Les correspondances se font sans qu’on y pense. Par contre, j’étais très conscient de m’inspirer, comme De Palma, du Blow up d’Antonioni. C’est un film qui joue beaucoup sur la croyance que l’objectif saisit des choses que l’œil humain ne voit pas. Moi-même, je fais beaucoup de photos pour préparer mes films et je découvre toujours des choses en photographiant mes acteurs, des gestes, des ports de tête que je n’avais pas vus quand je suis en face d’eux. L’œil de la caméra découvre un monde qui n’est pas celui qu’on voit mais qui est une autre forme du réel. J’avais tourné une scène dans le film, que j’ai finalement supprimée, se déroulant dans un restaurant entièrement dans l’obscurité, où les serveurs sont aveugles. On a filmé avec une caméra spéciale, mais pas à infrarouge, car je n’aime pas cette coloration verdâtre comme dans Le Silence des agneaux. Cette caméra nouvelle donne plutôt une forme de noir et blanc très étrange. C’était fascinant parce que nous ne voyions rien, mais la caméra, elle, imprimait une chose sur laquelle nous n’avions aucun contrôle. C’est ce mystère de ce que peut voir un objectif qui me fascine. L’appareil photographique, ou cinématographique, c’est aussi quelque chose qui fixe les choses, les gens, à travers le temps, un peu comme la lave du Vésuve qui a saisi ce couple qui dormait enlassé à Pompéi et dont on parle dans Voyage en Italie.
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Voyage en Italie de Roberto Rossellini (1953). Vous le citez dans le film. Rossellini est un cinéaste très éloigné des films que vous faites.
Bien sûr, j’aime des cinéastes qui ne me ressemblent pas du tout. Tout comme dans la vie, je ne recherche pas les gens qui me ressemblent. On peut se sentir proche d’une sensibilité, d’un certain type d’émotion, alors que le style visuel d’un film est très éloigné de ce que vous recherchez. C’est le cas des films de Rossellini, qui touchent en moi des choses très profondes. Je suis bouleversé par la transparence de son écriture, sa nudité. Mais c’est vrai que mes films sont un peu l’opposé de cette nudité. En plus, Rossellini détestait les studios, ne voulait tourner qu’en extérieur. Moi, j’adore tout reconstruire en studio. Sur Voyage en Italie, je dirais aussi que c’est une des analyses les plus fouillées qu’on ait jamais livrées sur toute la physique d’une histoire du couple, comment on s’éloigne, on se perd, on se retrouve.
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Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle (1957), que vous citez aussi dans Etreintes brisées.
Jeanne Moreau est peut-être la voix la plus envoûtante de toute l’histoire du cinéma. Je peux voir L’Amant de Jean-Jacques Annaud uniquement parce qu’elle fait la voix off – et c’est vraiment le seul intérêt de ce film. Mon premier souvenir de Jeanne Moreau date des années 60. J’avais une douzaine d’années. J’ai vu Moderato cantabile, qui m’a beaucoup impressionné. Déjà sa voix m’avait foudroyé. Et très peu de temps après j’ai vu La Nuit d’Antonioni. Et de façon étonnante, moi, petit garçon d’un petit village espagnol, je me suis totalement identifié au drame de cette grande bourgeoise milanaise. Dans Ascenseur pour l’échafaud, la voix de Jeanne parlant par-dessus les photos qui la dénonce avec Maurice Ronet, qui sont des photos de bonheur, où ils s’embrassent, disant “Je vieillirai en prison, je deviendrai une femme laide en prison”, c’est très beau. Je me suis inspiré de cette dimension secrète, hermétique, d’une histoire d’amour en écrivant Etreintes brisées.
Et la musique de Miles Davis ?
Jamais aucun compositeur n’a fait quelque chose d’approchant, c’est-à-dire improviser sur les séquences du film et garder ces impros comme BO. Il pouvait le faire parce qu’il était Miles Davis. Alberto Iglesias, mon compositeur sur ce film, a accompli un travail extraordinaire, mais qui a été très long, un peu laborieux. Nous voulions une musique qui fasse film de genre, mais le genre du film n’est pas très défini. Il y a une dominante de mélodrame, mais aussi des aspects de thriller et des éléments de comédie. Je lui ai donné comme instruction de s’approcher du film sur la pointe des pieds.
Je suis profondément heureux d’avoir rencontré Alberto. Il y a deux personnes qui sont essentielles dans l’identité de mon cinéma, c’est le monteur, qui est le même depuis mes débuts, et Alberto. Je le dirige comme un acteur, il me fait écouter ce qu’il compose au fur et à mesure et je peux le reprendre sur une note, un accord, lui demander de le refaire. Et il sait toujours exactement pourquoi ça ne me plaît pas et comment il doit le reprendre. Je crois que Lynch et Badalamenti travaillent de cette façon un peu fusionnelle.
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