Sélection officielle - hors compétition.Après une projection annulée, puis encore un quart d’heure de retard et une empoignade pour entrer dans la salle, on a enfin pu voir ce film qui s’est tellement fait désirer. A la fin de la projection, une partie de la salle a hué (dont un rang de vieux critiques italiens […]
Sélection officielle - hors compétition.
Après une projection annulée, puis encore un quart d’heure de retard et une empoignade pour entrer dans la salle, on a enfin pu voir ce film qui s’est tellement fait désirer. A la fin de la projection, une partie de la salle a hué (dont un rang de vieux critiques italiens assis à côté de moi), une autre a acclamé le film (j’en faisais partie).
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Trouble Every Day est une réussite totale, peut-être l’ uvre la plus belle et la plus gonflée de la cinéaste, un film du corps et de la nuit appartenant à la famille de La Féline, The Addiction ou Sombre, un film qui estourbit le spectateur d’un splendide uppercut de cinéma.
Chez Claire Denis, il n’y a quasiment pas de dialogue, une épure d’intrigue, toute l’énergie de la cinéaste et de son équipe étant tendue vers l’intensité des plans, l’incarnation des corps, la sensualité à fleur de peau des sons et des images : c’est avec les moyens spécifiques du cinéma, et uniquement avec eux, que Denis raconte son histoire d’êtres prédateurs, vampires, malades.
Un homme (Vincent Gallo), médecin américain qui vient à Paris en voyage de noces, et une femme (Béatrice Dalle), séquestrée dans un pavillon de banlieue par son mari médecin (Alex Descas), qui cherche surtout à la protéger et à la soigner. Dès les premières scènes, on est plongé dans un univers nocturne, chargé d’érotisme, de mystère et de crudité, où la musique diaprée des Tindersticks joue à plein son rôle d’authentique personnage du film.
Dalle ne dit pas un mot, elle joue simplement de son corps, attire les camionneurs qui passent. Après une ellipse, on retrouve le camionneur mort, profondément balafré, alors que la Dalle est blottie plus loin, la bouche ensanglantée, ronronnant comme une lionne assouvie. Et Denis de filmer un terrain vague de banlieue comme une savane africaine. Ce film est hanté par un mal profond, primitif, contaminé par une malédiction ancestrale.
L’autre couple du film est constitué de ces Américains qui séjournent dans un palace parisien. Et alors qu’une femme de chambre fait un peu sa Sophie Calle (en se mêlant discrètement de ce qui se passe dans les chambres des clients), Gallo distille un sex-appeal sauvage, inquiétant. A chaque plan, à chaque instant, on le sent prêt à lacérer et dévorer sa jolie petite caille d’épouse.
Claire Denis a tout compris de l’érotisme au cinéma, question de corps et de grain de peau qu’elle filme au plus serré, mais aussi question d’éclairages mordorés et d’ombres portées, de sons sensuels et de bords du cadre frémissants, affaire d’attente et de désir infusant la matière de chaque plan.
Et, après avoir joué le jeu de la séduction et de l’envoûtement, de la longue approche vers le climax longtemps différé, celui-ci finit par advenir : c’est un sabbat sexuel, une étreinte gore d’une sauvagerie et d’une puissance rarement vue sur un écran. Claire Denis sait depuis longtemps que faire un film, ce n’est pas fabriquer avec du savoir-faire un enchaînement de jolies images. Faire un film, c’est un privilège rare, c’est à chaque fois l’occasion de fouiller profondément les zones troubles et risquées de notre être, et d’y emmener le cinéma. Cette occasion, il faut la saisir à fond, il faut y aller. Denis y va.
Ce film de pur sens est articulé par une vague intrigue médicale (qui expliciterait vaille que vaille le vampirisme de Gallo et Dalle) et également peuplé par une série de seconds rôles tout aussi beaux et bons que les principaux (José Garcia, Hélène Lapiower, Aurore Clément…). Il n’y a ici quasiment pas un seul plan qui ne soit habité d’un enjeu trouble, qui ne fouaille l’insondable mystère des corps et du désir, qui ne glisse avec élégance dans les profondeurs opaques de la nuit et de l’inconscient.
Trouble Every Day, ce sont les vraies griffes de la nuit, les réellement mordantes morsures de l’aube, une terrassante leçon de ténèbres, une superbe maladie, un beau bloc de cinéma vaudou.
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