C’est Noël, la petite fille participe à un défilé en costumes, tandis que son père la filme au caméscope. La famille paraît unie, sans histoires. Le père d’origine dominicaine et la mère portoricaine sont de très banals trafiquants d’héroïne, de gros travailleurs, ils n’arrêtent jamais. Même le soir de Noël, ils déposent leur fille chez […]
C’est Noël, la petite fille participe à un défilé en costumes, tandis que son père la filme au caméscope. La famille paraît unie, sans histoires. Le père d’origine dominicaine et la mère portoricaine sont de très banals trafiquants d’héroïne, de gros travailleurs, ils n’arrêtent jamais. Même le soir de Noël, ils déposent leur fille chez sa grand-mère, et retraversent la ville jusqu’à leur appartement, où ils remplissent inlassablement des petits sachets de poudre blanche, mais seulement après les avoir marqués de leur sceau, signe de reconnaissance, gage de qualité. C’est le New York de 1993, celui d’avant le grand nettoyage du maire Giuliani. Ferrara s’amuse à évoquer cette époque proche, celle de la came plein les rues, comme il jubile en ouvrant le film par une scène en costumes. Mais ce ne sont que des fausses pistes, des variations sur un même thème, l’essentiel est ailleurs. New York, ville fermée, sans la moindre verdure ; un couple, dans un état fusionnel qui englobe sa progéniture, un trois-en-un qui a enfin trouvé sa place au soleil et sa raison sociale ; et puis le travail, dans ce qu’il a de plus routinier, drogue ou pas, machine si bien lancée qu’on ne peut plus l’arrêter. Trois cercles distincts mais sécants qui enserrent les individus comme une mâchoire. Personne ne montre comme Ferrara, avec autant de minutie et d’élégance, les trajets au sein d’une ville sans figurants, où il ne reste plus que des vendeurs et des clients, et comment un incident « d’affaires » grippe cette belle mécanique, soubresaut qu’il s’agit d’encaisser puis de dépasser. En grand cinéaste, Ferrara décrit cette routine dérangée par le seul mouvement de son film. A la première partie, si fluide qu’elle en devient cotonneuse, faite de fondus enchaînés d’une lenteur infinie (le temps que les trois cercles se rapprochent ou s’éloignent les uns les autres), répond une seconde, après l’enlèvement du mari lors d’un ténébreux règlement de comptes, gouvernée par un imperceptible changement de rythme, une autre temporalité. La mère doit soudain faire face, toute seule… S’il y a une part de satire de la consommation comme du commerce , le film ne charge pas ses personnages privés de noms, qui s’incarnent tout doucement à mesure qu’ils sortent de leur cocon : il les caresse des yeux. Et indique leur vraie nature de rouage en faisant se refléter sur eux un univers de béton, de verre et d’acier. Déréalisée, la ville devient une ouate étouffante, gorgée de chloroforme, un carcan indifférent à ces pauvres créatures, habitants d’un placard sans clé. Mais la femme comme souvent chez Ferrara est capable de remuer ciel et terre. Le Black qui l’insulte et la menace va lui rendre plus que son mari. A grand renfort d’injures sexuelles, il lui rappelle son potentiel de séduction en même temps qu’il la terrorise. Même salie par les mots, elle redevient un objet de désir. Le paradoxe étant qu’elle tirera son mec de ce mauvais pas en découvrant ce qu’il lui avait soigneusement caché. Et le mari de retrouver sa place sur le canapé du salon, comme par enchantement, dans un léger mouvement de caméra qui nous le fait découvrir derrière la silhouette de sa femme. Les fidèles auront reconnu le fameux gouffre ferrarien, la part manquante autour de laquelle s’organisent ses films depuis The Blackout. Mais les stigmates du passage à tabac sont bien visibles sur les côtes de l’otage libéré. Ce n’était pas qu’un songe, plutôt un conte de Noël retors, et l’intrigue aura un dénouement, politique cette fois. A la fin,’R Xmas se sera suffisamment rapproché pour se faire le miroir de tout un chacun, reflet tendu à bout de bras par un cinéaste-junkie dont les pitreries masquent la profondeur. Ferrara, si loin, si proche.
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Drea de Matteo actrice dans ‘R Xmas
En la voyant arriver avec ses tatouages partout, son pas assuré, ses boucles platine et sa langue bien pendue, on comprend assez vite pourquoi Abel Ferrara lui a confié le rôle de la tough girl dans ‘R Xmas. En épouse de dealer aux nerfs d’acier capable de réunir la rançon pour libérer son mari, sans autre signe d’angoisse qu’un froncement de sourcils, elle est parfaite. On voit mal qui mieux qu’elle pourrait balancer les « Fuck you » avec autant de naturel. Et quand elle affirme qu’à l’origine elle se rêvait rock-star avec Mick Jagger pour modèle, on conclut qu’elle est décidément « born to be wild ».
Pourtant, au fur et à mesure de l’entretien, on découvre que Drea de Matteo est loin d’avoir joué son propre rôle dans le film. Ses tatouages, si on les regarde de plus près, évoquent chacun l’une des femmes qui l’ont élevée au sein d’une famille italienne très traditionnelle. « On voit quelques-unes de mes nounous et marraines dans le film. » Parmi ces femmes, l’une a compté plus que les autres : sa propre mère, écrivain et auteur de pièces de théâtre, qui lui a donné le goût de la scène.
Trop « timide » (sic) pour suivre des cours de comédie, Drea a suivi les cours de cinéma de la NYU, l’équivalent new-yorkais de la Fémis parisienne : « Il y avait des cours de direction d’acteurs et comme on était censés apprendre à diriger plutôt qu’à jouer, je pouvais expérimenter le jeu sans me soucier du regard des autres. » Des « expérimentations » prolifiques. Le jour de l’audition pour le rôle d’Adriana dans la série Les Sopranos, Drea n’hésite pas à monter sa voix d’une octave et à beaucoup parler avec ses mains. Et les directeurs de casting new-yorkais regardant eux aussi Les Sopranos, Drea n’a pas tardé à se retrouver sollicitée pour le cinéma. Elle considère ‘R Xmas comme son premier vrai film. « Travailler avec Abel était un rêve. » Pour le résultat sans doute, mais le tournage n’était-il pas éprouvant ? « Non, il est parfait. Rien à dire. » On n’en saura pas plus. Mais à la fin de l’entretien, quand on lui confie que sa performance est digne de celle de Gena Rowlands dans Gloria de Cassavetes, surprise, Drea rougit.
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