Sélection officielle Waow ! Qu’est-ce que c’est que ce truc ! ? ! Un croisement dément entre La Quatrième dimension et En Quatrième vitesse ? Une version du Magicien d’Oz sous acide et cocaïne ? Sunset Boulevard revu par l’érotisme troublant d’Hitchcock ? Les Femmes préfèrent les blondes ? Blue velvet + Twin Peaks + […]
Sélection officielle
Waow ! Qu’est-ce que c’est que ce truc ! ? ! Un croisement dément entre La Quatrième dimension et En Quatrième vitesse ? Une version du Magicien d’Oz sous acide et cocaïne ? Sunset Boulevard revu par l’érotisme troublant d’Hitchcock ? Les Femmes préfèrent les blondes ? Blue velvet + Twin Peaks + Lost highway à la puissance 3 ? A l’heure où ces lignes sont écrites, c’est en tout cas le plus beau choc du Festival, et si Sailor & Lula avait en son temps décroché la Palme d’or, Mulholland Drive mérite alors une Palme de platine.
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Comment résumer une histoire pas racontable, décrire la puissance de mystère des plans inventés ici par Lynch, et faire passer par les mots l’insondable érotisme de ses cadrages, la fluidité sensuelle de ses enchaînements ou la brutalité cut de ses changements de mood ? Tout commence par un twist, tableau fifties dont les couleurs chatoyantes sont mêlées à des ombres chinoises, plan Technicolor soudain contaminé par un nuage blanc qui envahit le cadre comme une tumeur. Puis une limousine glisse dans la nuit soyeuse d’Hollywood, sur Mulholland Drive, ce boulevard des nantis qui serpente au sommet des collines. Crash ! De l’accident, une plantureuse brune, croisement de Jane Russell et de Rita Hayworth, s’extrait en rampant. Elle se réfugie dans l’appartement de Betty, une blonde de l’Ontario, innocente et fraîche, qui débarque à Hollywood pour essayer de devenir movie-star.
Parallèlement, un tournage de film est interrompu suite à un conflit entre le jeune réalisateur branché et les producteurs sur le choix de l’actrice principale. Et puis, il y a ce client de la cafétéria Winkie qui fait un cauchemar épouvantable… Mulholland Drive devait être au départ une série : en la transformant contre son gré en film, David Lynch assume pleinement sa nature feuilletonesque originelle en multipliant les personnages et les intrigues parallèles (qui finiront toutes par se croiser).
Son abondance fictionnelle est l’un des bonheurs du film. Mais ce qui frappe au-delà de cette profusion scénaristique, c’est la quasi-perfection de tous les ingrédients. Chaque scène, qu’elle soit mystérieuse, comique ou inquiétante, est dramatiquement chargée, chaque plan induit de la tension, du désir et du suspens, soit parce que la caméra flotte légèrement autour des visages, soit qu’elle progresse par des travellings avant qui suscitent le suspens, soit parce que la situation est étrange sans oublier les effets sonores, comme toujours cruciaux chez Lynch.
Sans raconter le film en détail, on peut juste dire que son tapis scénaristique se déchire à plusieurs reprises, que le film change plusieurs fois de dimension et les personnages d’identité, passant du cauchemar à la réalité sans que l’on puisse déterminer avec certitude où l’on est. On peut entrer dans Mulholland Drive par de multiples passages. Par exemple, que signifie la présence récurrente de prolos et de SDF dans le paysage du film ? Et quel est le sens de ce terrifiant couple de retraités ? Lynch ferait-il allusion aux titulaires des fonds de pension qui gouvernent anonymement le monde ? Mulholland Drive serait-il aussi un film politique à sa façon tordue et allusive ? Les lectures sont ici multiples.
Film sur les différentes strates de rêves et les zones reculées de l’inconscient, film freudien d’un cinéaste qui ne l’est pas du tout, Mulholland Drive est par-dessus tout une rêverie parfois cauchemardesque sur le cinéma et plus précisément sur Hollywood en tant que concept, machine à rêves, astre solaire et trou noir des songes humains de notre temps.
Hollywood infuse ce film par tous les pores : ce sont les splendides plans d’ensemble nocturnes et diurnes de la ville, c’est une géographie urbaine résumée par des inserts de panneaux emblématiques (Hollywood, Mulholland Drive, Sunset Boulevard), ce sont tous les genres hollywoodiens (thriller, western, sitcom, épouvante, fantastique social…) qui défilent sous l’œil de Lynch, c’est un personnage secondaire comme la concierge Coco, qui pourrait être une Gloria Swanson qui a mal tourné, ce sont les passages représentant directement les coulisses du cinéma (réunion de power people, séance de casting, tournage en studio)… Et quand la blonde et simple Betty s’empare de la brune et glamour Rita, quand elle lui susurre des « Je t’aime » éperdus, c’est à une icône de la Cinémonde qu’elle s’adresse, c’est son rêve hollywoodien qu’elle caresse puis étreint…
Ce que le film montre de plus touchant, de plus cruel et de plus mystérieux sur Hollywood, c’est la façon dont l’usine à rêves fait tourner la tête des jeunes filles d’Amérique, comment toutes ces cousines et descendantes de Dorothy (l’héroïne du Magicien d’Oz) viennent folâtrer avec l’aveuglante lumière de la gloire et de l’argent jusqu’au risque de s’y brûler et de s’y détruire. Et c’est pour cette raison que l’image marquante de Mulholland Drive, sa scène originelle et centrale, ce sont ces visages irradiés qui ouvrent et ferment le film, ces ombres chinoises inversées qui flottent en surimpression sur les boulevards des rêves brisés.
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Laura Elena Harring & Naomi Watts
L’une est brune capiteuse, l’autre blonde et fraîche. Chacune tient un double rôle dans Mulholland Drive, pour lequel elle offre un véritable feu d’artifice. Entretien croisé autour d’un même sujet : leur rencontre avec David Lynch.
Que pensiez-vous du cinéma de David Lynch avant de le rencontrer ?
NAOMI WATTS : Il est capable de s’intéresser à des personnages qu’on ne voit pas d’habitude au cinéma, ce qui est évidemment excitant pour une actrice. Plus globalement, il part d’un univers très familier et emmène peu à peu le spectateur vers un monde déroutant, ambigu. On s’enfonce comme dans un rêve ou un cauchemar, sans plus pouvoir reculer.
LAURA ELENA HARRING : Elephant Man m’a bouleversée. Avec Blue Velvet, j’ai ressenti un choc plus esthétique. Enfin, je repense souvent à la scène dans Sailor et Lula où Laura Dern et Willem Dafoe sont dans la chambre d’hôtel. Le jour où j’avais rendez-vous chez David pour le rencontrer, j’étais tellement dans tous mes états que j’ai eu un accident de voiture. Quand je l’ai finalement vu, il m’a annoncé que la première scène du film était un accident de voiture… C’était un signe, et pendant les deux ans et demi qui se sont passés depuis, malgré toutes les difficultés qu’a eu le film à se faire, j’ai eu régulièrement ce genre de signes qui m’ont aidée à y croire.
Quel est votre Lynch préféré ?
NAOMI : Mon trio de tête, c’est Blue Velvet, Sailor et Lula et Elephant Man. Si je dois vraiment en choisir un seul, alors je garde Blue Velvet parce que ça a été un choc inoubliable. J’ai compris en voyant ce film ce qu’était un auteur au cinéma. Plus qu’un metteur en scène.
LAURA : Elephant Man : c’est un film qui nous rappelle à quel point l’être humain est vulnérable. Il ne faut jamais perdre ça de vue. C’est la meilleure façon de communiquer avec les autres. Sur ce terrain-là, au moins, nous sommes tous égaux.
Comment Lynch vous a-t-il présenté votre/vos personnage(s) ?
NAOMI : Il m’a d’abord seulement parlé de Betty, en me disant que c’était une jeune actrice débarquant à Hollywood pour la première fois pour réaliser son grand rêve. Pendant longtemps, je n’ai su que ça. Mais David m’a posé beaucoup de questions sur ma vie, sur mes aspirations. Il est évident que pour lui, Hollywood est la métaphore du monde dans lequel nous vivons.
LAURA : En ce qui concerne Camilla, il m’a dit de me comporter comme un chat, d’avoir des gestes très félins, très sensuels, des mouvements très lents, étirés. Et pour Rita, il m’a dit qu’il y avait un nuage noir au-dessus de sa tête, qui était la métaphore de son amnésie : quelque chose de menaçant, de terrorisant même. La preuve que David est un grand directeur d’acteurs : ses indications ne sont pas abstraites, mais très visuelles. Un chat et un nuage, quoi de plus parlant ?
Quelle a été votre réaction en découvrant le script ?
NAOMI : Au départ, Mulholland Drive devait être une série télé, il n’était donc pas encore question de Diane : je devais juste jouer Betty, cette comédienne débutante pleine d’espoir et d’innocence par rapport à Hollywood. Mais on sentait que ça allait s’obscurcir. Elle ne pouvait pas rester aussi gentille jusqu’au bout. Personne n’est aussi gentil. J’étais assez excitée à l’idée de découvrir son sort à mesure qu’on passait d’une série télé à un film de cinéma.
LAURA : Je me souviens que dès les premières pages, pendant la scène où la balle que tire le voyou vient se loger dans la grosse bonne femme, je me suis mise à hurler de rire. C’est tellement drôle ! Et là, j’ai ressenti un immense sentiment de respect et de fascination pour la personne capable de provoquer des émotions aussi brillamment.
Qu’avez-vous le plus apprécié en travaillant avec Lynch ?
NAOMI : Son humour, son désir d’aller aussi loin que possible. Je me suis sentie totalement en confiance, entre de bonnes mains. Je ne me suis jamais sentie jugée avec lui : je pouvais essayer des choses, même si ça pouvait sembler être n’importe quoi. Oui, j’insisterais sur cette confiance réciproque.
LAURA : Que David soit aussi spirituel : c’est-à-dire à la fois intelligent et très très drôle. Et puis, c’est vraiment un poète : ce n’est pas seulement le film fini qui est poétique, mais David l’est au quotidien, dans sa façon de travailler.
Et qu’avez-vous aimé le moins ?
NAOMI : (Elle baisse le ton) Le fait que je doive me masturber plein cadre. Ça, c’était très difficile.
LAURA : L’exigence était très grande sur ce film, donc j’ai parfois eu le sentiment de ne pas être à la hauteur. Je me souviens d’une scène qu’on a tournée tard dans la nuit, où je devais pleurer, et pleurer encore. A un moment, je me suis sentie vraiment vidée. Et en rentrant chez moi ce soir-là, je tremblais encore, je n’ai pas réussi à dormir.
Pour vous, quel est le sujet du film ?
NAOMI : Les rêves et l’identité, et la façon dont on assume ou pas ses rêves et son identité. Pour moi, Mulholland Drive, cette artère qui serpente à travers Hollywood, symbolise bien le film : un voyage parmi d’autres, avec des détours imprévus, des bons moments, d’autres plus douloureux.
LAURA : Les rêves déçus, les illusions et pas seulement les illusions hollywoodiennes, que les choses ne sont pas forcément telles qu’elles semblent être. Je pense qu’il y a énormément de métaphores dans le film sur les états de conscience. Pour moi, le fameux « Silenzio » qui revient dans le film renvoie au bouddhisme. Je suis souvent allée en Inde, où j’ai appris à calmer mon esprit : pour eux, c’est la clé du bonheur, de la félicité et de la connexion au divin.
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