Un certain regard
Dans la masse des films intimistes qui peuplent les sélections parallèles (la compétition officielle étant souvent le réceptacle des uvres à grand sujet, grande forme, et/ou des épiques épopées d’époque), certains des mieux réussis sont des portraits de jeunes filles troublées. On a presque envie de dire : ça marche à tous les coups. Ce ne serait pas juste, mais il reste indéniable que, depuis Mouchette ou A nos amours, les adolescentes ou post-ados perturbées sont des matériaux frémissants et désirables dont cinéastes et public sont avides. Même en Autriche, contrée qui ne fleure pas toujours bon la joie de vivre et l’humanisme.
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Avec Jessica Hausner, nouvelle venue de 28 ans, l’émergence d’un contingent de jeunes cinéastes germaniques tout à fait passionnants continue à se confirmer dont le chef de file souterrain serait l’extrême Fred Kelemen ; mais ses films longs et difficiles effraient les distributeurs français.
Sur le papier, Lovely Rita, qui n’a en commun avec la chanson des Beatles que son titre (cette Rita-là n’a rien d’une « meter maid », contractuelle), est une uvre tout ce qu’il y a de classique : ado difficile, parents froids et odieux, appel de la féminité, premiers émois sexuels.
Tout l’intérêt du film réside dans le traitement spécifique et singulier qu’applique la cinéaste à ce sujet bateau. Jessica Hausner transforme le rigorisme teuton en atout esthétique : au lieu d’immerger ses personnages dans un univers réaliste et grouillant, elle préfère souvent les filmer devant des fonds neutres ; détachés de leur contexte et de leur environnement social, leur marasme ressort d’autant mieux. Seule concession à un quelconque maniérisme : les zooms avant très rapides qu’utilise ponctuellement la cinéaste pour souligner une émotion. Effet qu’on ne connaissait guère jusque-là que dans le cinéma de genre hongkongais, ou chez des cinéastes du tiers-monde (Chahine, par exemple). Mais cette fioriture est si parcimonieusement employée que finalement, elle ne perturbe pas le cours de ce film au louable dépouillement plastique. Par ailleurs, il y a une insistance assez étrange sur la religion (catholique, ce qui ne correspond pas aux clichés sur le protestantisme germanique), deuxième pôle répressif (avec le père sévère d’un autre côté) qui pousse la lovely Rita à ruer dans les brancards et à transgresser.
Cette omniprésence de la religion s’exprime par des scènes comme la prière collective dans l’église des condisciples chipies de Rita, qui constitue un remarquable condensé d’hypocrisie. Quant à l’agressivité parentale, elle pourrait être comique voir le leitmotiv du père, obsédé par le couvercle des chiottes qu’il faut à tout prix refermer si la cinéaste, en bonne luthérienne (le catholicisme n’est qu’un faux- semblant), ne décidait de la sanctionner radicalement à la fin avec un châtiment violent, banalisé par un filmage distant cette Haneke’s touch qui survient tardivement est une facilité, voire une complaisance, dont le film aurait largement pu faire l’économie.
On se contentera d’attribuer cet excès mal venu à la jeunesse d’une cinéaste dont c’est le premier long métrage, et qui fait par ailleurs preuve d’une retenue et d’une maîtrise tout à fait impressionnantes.
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